“Lire et relire Jean Follain, aujourd’hui”, 15, Etienne Faure


Poesibao publie un nouveau feuilleton, intitulé ‘Lire et relire Jean Follain’, proposé par Elodie Bouygues. Quinzième contribution : Etienne Faure


 

Jean Follain, Plan de Belleville, Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô.


Lire et relire Jean Follain aujourd’hui


En 2023, nous célébrons les 120 ans de la naissance du poète Jean Follain (1903-1971). Une journée d’études organisée par l’Université de Franche-Comté en partenariat avec l’IMEC se déroulera à l’abbaye d’Ardenne le 15 novembre, et un numéro spécial de la revue Europe est prévu pour début 2024. Dans le feuilleton suivant, poètes, écrivains, éditeurs contemporains rendent grâce à cet auteur, disent de quelle façon son œuvre a marqué leur sensibilité et comment elle continue à les accompagner aujourd’hui.
Elodie Bouygues.

Quinzième contribution, Etienne Faure
(Voir les précédentes contributions en bas de page)



Un regard rural



Avoir dans la poche un recueil de Jean Follain et le lire par intermittence dans le métro, voilà une expérience pleine de contrastes, riche en leçons multiples, qu’il m’arrive de réitérer parfois pour voir, pour revoir, comme une mise à l’épreuve dans un monde bruyant et scandé d’une œuvre au tempo paisible et rare, quasiment champêtre et campagnard.
Le temps d’une lecture ou plutôt d’une relecture.
Car ce poète, tôt fréquenté avec connivence dans les transports souterrains et aériens du métropolitain, lorsque j’étais étudiant en droit, se relit volontiers, chose finalement plus rare qu’il n’y paraît en poésie, et a fortiori en prose. Une relecture favorisée également par le format souvent réduit de ses poèmes, une écriture ramassée, elliptique, où la précision – juridique, entre autres – transparaît et l’emporte.
C’est que ces textes lus en plein paysage urbain agissent comme une confidence, lente et solennelle, à la mesure souvent tranquille, issue d’un regard qui crée un calme et rend soudain la traversée plus lumineuse. Du voyage, de l’existence. Une façon d’avoir, au fond d’une poche, plein de petites éternités portatives disponibles, au jour le jour, avec ce filtre campagnard pour aborder le fracas, y compris celui des guerres et des hommes.
Des villes et des champs, le poète Jean Follain observe tout, quel que soit l’objet de cette observation. Ce regard si aigu qui semble opérer comme sans y toucher (André Frénaud entre autres le raconte lors d’une journée passée avec lui du côté de Charleville) est sans œillères ni apriori. Rien ne semble lui échapper.
Mais ce qui se passe ensuite, ce sur quoi il insiste et qu’il restitue, est cet angle de vue qu’on pourrait dire rural, une scrutation rapportée à l’aune d’un monde agricole et de bourgs, de petites villes chefs-lieux et de lieux-dits bien connus de lui. Un monde en partie défunt, dont il a côtoyé les dernières rumeurs, enfant, avant la Grande Guerre, ou qui lui fut relaté par les aïeux.
Ce regard rural porté sur les choses, les êtres, les mœurs, les cérémonies… passe plus inaperçu dans l’environnement qui le génère : la campagne normande tissée de chemins creux et de haies, souvent renforcée du recours à l’histoire – au passé – pour y accéder, la retrouver pleinement, légèrement empesée et pesante.
Mais appliquée à la ville, cette vision révèle encore davantage la manière et la peinture – la touche unique – du poète : tout l’œil de Follain. Avec constance, presque entêtement, un peu de campagne est restée dans le regard que pose le poète sur Paris. Peut-être parce qu’il l’a d’abord longuement médité depuis sa province avant d’y venir habiter (son histoire, le plan des rues…) et que Paris recèle encore, à l’époque où il l’écrit, de nombreuses niches campagnardes, des signes et des gestes rustiques. Et sans doute aussi parce qu’en retournant dans le passé il va quérir « son » Paris. C’est à la fois l’écart du temps et de l’espace (l’histoire et la campagne) qui crée ce décalage. À commencer bien sûr par cette évocation fameuse, si surprenante, qui fait appel dans Paris au matériau premier qu’est le sol pour parler de la capitale :

« Un jour, je sentis que sous le pavé de Paris, il y avait la terre, la vieille terre des propriétaires et des partageux ; souvent le pavé s’est gonflé sous sa poussée ; au soir de révolution on arrache les pavés, l’on casse l’asphalte, et la terre apparaît, une terre maigre certes, mais qui tend à conquérir les sucs du ciel. »

Et plus loin :

« J’en sais qui autour d’une église avoisinant l’avenue de Clichy vont cueillir des pissenlits dont ils font longtemps réduire l’amertume dans des marmites posées sur des fourneaux à gaz. »

Une espèce d’évidence venue des champs sans qu’il s’agisse pour autant de magnifier ici un « ordre éternel des champs », vieille rengaine entre-temps bien connue, ni une valeur supérieure qu’il faudrait promouvoir, ni même un Paris-bourgade un peu trop fabriqué ou sollicité.
C’est donc en expert de la scrutation (très peu dans les nuages, au fond), qu’il porte ce regard tamisé sur la capitale et qu’il en mesure la résonance avec l’humanité des bourgs et des champs mêlés. Et son histoire.
Une ruralité qu’on retrouve dans ce petit exemple, parmi cent autres, extrait de La Main chaude :

« Les filles de la rue Saint-Denis
c’est la campagne avec ses nids
quand le soir tombe. »

Une même « simplicité campagnarde » que Follain à propos de la même scène évoque également dans Paris.
De ce décalage du regard, entre autres, naissent l’intrigue et le charme de cette parole qui n’a cessé de m’émouvoir. Avec insistance, chez Follain, ce qui a fui revient, par de subtiles évocations étayées souvent – comme attestées – par un détail d’ampleur qui ajouté à un autre fait resurgir un éphémère instant et prend alors la force d’une permanence où vient également se nicher souvent une espèce de merveilleux.
Une écriture nourrie de mémoire rurale qui n’est certes pas sans qui-vive mais où se cherche le calme, parfois retrouvé, le temps de la lecture d’un poème ou d’un extrait minuscule qui à lui seul concentre ces petites éternités si précieuses, y compris entre deux rames, deux stations, deux correspondances.

Étienne Faure

« L’histoire »

Comme l’histoire au monde
par moments apparaît triste
le dîner lourd refroidit
le tribun ne revient pas
sa maîtresse suit ses rêves
plus tard
c’est l’arrachement
la fusillade étouffée
les cloches d’un grand congrès
sur lequel la nuit tombe
alors que dans les champs
de son enfance éternelle
le poète se promène
qui ne veut rien oublier.

Jean Follain, Exister, Poésie/Gallimard, 1969, p. 43



Précédentes contributions :

1. Sylvie Durbec
2. Grégoire Delacourt
3, Françoise Delorme
4, Laurent Fourcaut
5, Bruno Fern
6, Georges Guillain
7, Christian Désagulier
8, James Sacré
9, René Boulanger
10, Bernard Fournier
11, Pascal Boulanger
12, Pascal Commère
13, Marie Huot
14. Jacques Moulin