“Lire et relire Jean Follain, aujourd’hui”, 12, Pascal Commère


Poesibao publie un nouveau feuilleton, intitulé ‘Lire et relire Jean Follain’, proposé par Elodie Bouygues. Douzième contribution : Pascal Commère



Manuscrit du poème “Badinage”, fonds Jean Follain, Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô.


Lire et relire Jean Follain aujourd’hui
En 2023, nous célébrons les 120 ans de la naissance du poète Jean Follain (1903-1971). Une journée d’études organisée par l’Université de Franche-Comté en partenariat avec l’IMEC se déroulera à l’abbaye d’Ardenne le 15 novembre, et un numéro spécial de la revue Europe est prévu pour début 2024. Dans le feuilleton suivant, poètes, écrivains, éditeurs contemporains rendent grâce à cet auteur, disent de quelle façon son œuvre a marqué leur sensibilité et comment elle continue à les accompagner aujourd’hui.
Elodie Bouygues.

Douzième contribution, Pascal Commère

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Outre que je le connaissais par ses livres, découverts il y a longtemps déjà et que je rouvre de temps à autre pour le plaisir, le nom de Follain revenait souvent dans la conversation d’André Frénaud, qui fut l’un de ses grands amis. Ce « cher Follain » comme il disait chaque fois qu’évoquant sa mémoire il se remémorait quelque anecdote liée notamment à tel ou tel dîner ou déjeuner en ville     – rien de végétarien à l’époque, mais de la tripe, des abats. Et du pinard ! Mais je parle ici de l’homme, au risque de me perdre parmi les diverses facettes du personnage, hésitant entre l’homme tout court et l’homme social, sans oublier le poète. Auquel je me hâte de revenir, car c’est de lui qu’il importe en fin de compte. Je n’oublie pas toutefois une petite phrase des Agendas – lesquels n’étaient sans doute pas à l’origine destinés à être publiés – qui m’avait pour le moins arrêté, tant l’injonction qu’elle donnait à entendre était brutale et tombait là comme un cheveu sur la soupe. Encore que de soupe il était question ce vendredi 19 avril 1957 où, après un « déjeuner avec Paulhan, Dominique Aury, Madeleine au restaurant de la Reine Blanche », on passe au dîner, en toute autre compagnie cette fois – Dîner avec H. Retour. Elle dit : « Pille-moi les seins »… Nous voici bien loin de l’érotisme délicat, tout en suggestions, qui se dégage de nombre de ses poèmes, les plus anciens en particulier, dont on ne peut que goûter le charme. Érotisme qui ne s’attache, du reste, pas seulement à la figure féminine mais gagne peu à peu son environnement immédiat, encore que ladite figure soit très présente, quoique limitée la plupart du temps à sa seule apparition, ce qui ne la rend que plus énigmatique, plus troublante. D’autant qu’il ne s’agit bien souvent que de jeunes femmes, servantes à l’occasion, dont l’instant ne retient, dans la dureté du monde, qu’une sorte d’aura qui marque leur passage. « Parfum corporel », « fin duvet d[es] bras », quand ce n’est pas « un cil près d’une fleur / dans un verre d’eau »… Femmes quoi qu’il en soit, ou jeunes filles pour le temps qu’il leur reste à l’être (puisque tel on les appelait alors), quand elles ne sont pas saisies dans cet arrêt du temps qui marque le passage d’un âge à l’autre, avec un avant, un après, et tout ce que cela comporte de changement dans l’être, de frissons, d’émois, toutes choses pour lesquelles on n’a que peu de mots si ce n’est ceux d’une attente, rarement comblée, quand elle n’est pas désillusion. Pour ne rien dire des violences incestueuses, « crimes cachés que l’on commet dans les campagnes », dont Follain, comme à son habitude, se contente de lever un coin du voile, transformant un évènement d’ordre intime en un rouage incontournable du monde. « Subitement une jeune fille devenait femme, avec effroi, dans quelque maison de la place centrale. » lit-on dans L’épicerie d’enfance. Motif présent déjà dans un poème, Paysage de la jeune fille devenant femme, troublant à plus d’un titre, par cette sorte d’abîme que chaque mot creuse en son dedans, et cela dès les premiers vers : « Au milieu d’acajous, loin des trembles, / une jeune fille perd son premier sang ». Alentour le monde continue de tourner, comme si souvent dans les poèmes de Follain, tel un kaléidoscope alternant sècheresse humaine et cœurs racornis, et ces petites merveilles pour finir que l’innocence d’un regard tire d’un simple objet placé dans la lumière. Quand ce n’est pas, dans un autre registre, ces attributs de la féminité, dont il célèbre avec constance la merveille, à mots découverts, quoique nimbés d’une sensualité originelle, enfouie dans l’être mais toujours en éveil, fasciné par « l’exact volume du sein / d’une femme anonyme », ou, ailleurs, par « un sein nu doucement [qui] tremble » ; quand, « la fille endormie », il ne s’émeut pas du « sifflement léger montant de sa poitrine exquise ». Sensualité tout en retenue et délicatesse, distance aussi, toutes choses dont s’affranchit (partiellement) le poème qui suit, véritable blason du corps féminin :

Finement granulée l’aréole
de chacun de ces seins participe des couleurs d’une rose ambrée
penchée sur un proche abîme.
Cette poitrine évoque caresses
tortures, de par ses pointes épuise la splendeur d’un corps entier
à visage oblong aux yeux verts
elle ne sera ni caressée
ni torturée, même approchée
le soleil éclaire d’abondance le buisson
de la figue ouverte, ceux plus pâles des aisselles.
Les fesses, duvets du sillon
reposent sur un sable éternel
infimes débris des coquilles de la mer.

Pascal Commère