Marie-Hélène Lafon et Eric Courtet, “ils restent”, lu par Isabelle Baladine Howald


Isabelle Baladine Howald explore ce livre de dialogue entre des textes et des photos, sur le thème de la survivance.


 

Marie-Hélène Lafon, Ils restent, photographies d’Éric Courtet, éditions Isabelle Sauvage, coll Ligatures, 2023, 92 p., non paginé, 25€


Traces du perdu, traces d’avenir


Le livre de Marie-Hélène Lafon avec des photographies d’Eric Courtet a pour titre : ils restent.
Rester c’est à la fois ne pas quitter un lieu, une personne, après qu’il eut, peut-être, été question de partir. Finalement je reste, il est resté là, elle est restée avec lui, le fils est resté vivre auprès du père, comme dans ce beau livre à l’impeccable présentation, édité par Isabelle Sauvage dans la collection Ligatures.
Rester est assurer une continuité dans le temps, par les liens qui perdurent, par ceux du sang, par ceux des gestes qui passent d’une génération à l’autre, parfois non sans mal, non sans ruptures. Mais il reste la plupart du temps quelque chose, ne serait-ce que la ressemblance d’un jeune visage qu’on voit encore dans le vieux visage et ou l’âge qui s’écrit peu à peu sur le jeune visage.
Rester, de restarer en latin, c’est aussi se tenir debout.
On dit bien : ne reste pas planté là. C’est exactement ce dont il s’agit ici : rester planté(s) là, dans cette approche terrienne ou sociale, le fils avec le père puis après lui. Debout.

Un texte sobre de Marie-Hélène Lafon, qui dit aussi l’étouffement éventuel de ces liens dont la mère n’est pas absente – elle veut toujours que son fils : reste -, porte autant les photographies d’Éric Courtet que l’inverse, dans un rare équilibre. Photographie d’une lettre déchirante d’un homme lui-même père dont le fils est à l’hôpital, écrivant sa douleur à son propre père. Photographies précises des ressemblances folles, des regards tendres ou durs, de la distance qu’il y a toujours entre un père et son fils, de l’exemple que l’un cherche dans l’autre, de la tendresse, de l’émotion, de la crainte, de l’admiration ou de la haine, parfois de la gêne ou de la honte.
Je me souviens d’un grand philosophe qui se disait intimidé par ses deux fils.
Passé l’âge où on les porte tendrement contre soi, la distance physique se fait, le silence s’installe, en proximité ou en écart.
Père et fils partagent l’amour du foot – le fils encore tout mince regarde le père bien charpenté enlever son maillot, – pères et fils ce sont aussi ô combien des histoires de corps, – ou de la terre, ou de bien d’autres choses. Marie-Hélène Lafon sait merveilleusement dire la pudeur sans jamais détruire le secret que laisse entrevoir la photo, cet amour fait parfois de malentendus, de complicités, de non dits autant que de rires et de silences.
Comme le dit un fils, « Papa » est parfois un mot très difficile à dire.

Isabelle Baladine Howald

Ils restent, texte de Marie-Hélène Lafon, photographies d’Éric Courtet, éditions Isabelle Sauvage, coll Ligatures, 2023, non paginé, 25€


« Aujourd’hui encore à presque quarante ans, quand il voit des pères ou des grands-pères porter sur le dos ou sur leurs épaules des petits garçons de cinq ou six ans, il retrouve aussitôt l’odeur de la nuque et des cheveux de son père et il a envie de pleurer. »