Lire et relire Jean Follain aujourd’hui / 1. Sylvie Durbec


Poesibao lance un nouveau feuilleton, intitulé ‘Lire et relire Jean Follain’, proposé par Elodie Bouygues. Première contribution : Sylvie Durbec.


Photographie : Jean Follain à son bureau, place des Vosges / fonds J. F. / IMEC

Lire et relire Jean Follain aujourd’hui

En 2023, nous célébrons les 120 ans de la naissance du poète Jean Follain (1903-1971). Une journée d’études organisée par l’Université de Franche-Comté en partenariat avec l’IMEC se déroulera à l’abbaye d’Ardenne le 15 novembre, et un numéro spécial de la revue Europe est prévu pour début 2024. Dans le feuilleton suivant, poètes, écrivains, éditeurs contemporains rendent grâce à cet auteur, disent de quelle façon son œuvre a marqué leur sensibilité et comment elle continue à les accompagner aujourd’hui.
Elodie Bouygues.

Première contribution : Sylvie Durbec.


Pour la peinture, la pomme et le vivant, et pour Jean Follain

La pomme rouge

Le Tintoret peignit sa fille morte
il passait des voitures au loin
le peintre est mort à son tour
de longs rails aujourd’hui
corsettent la terre
et la cisèlent
la Renaissance résiste
dans le clair-obscur des musées
les voies muent
souvent même le silence
est comme épuisé
mais la pomme rouge demeure.

(Territoires [1953], Exister suivi de Territoires, Poésie/Gallimard, 1960, p. 143)

Poème-pomme sur la table. Mais pas de table, juste une couleur. Rouge. Qui dit le vif.
La mort est pourtant là dans le silence « épuisé ».
Pas de cercueil ni de lit.
Ni table, ni tableau.
Le clair-obscur d’un musée.
Sans bruit.

Aimer Follain, c’est le lire en murmurant, sans soleil aveuglant ni vent assourdissant.

L’espace du poème tel que je le parcours dans l’écriture de Jean Follain, a des couleurs douces et assourdies, sa lumière silencieuse semble atténuée par un éternel crépuscule.  De temps en temps une assiette se brise, un enfant pleure. Pour qui est née et vit dans le sud, l’envers du monde.

Deux morts dans ce bref poème.
Une fille et son père. Deux peintres vénitiens.
Et des rails et des voitures.

Follain juxtapose des mondes et des époques que tout sépare et qui sont pourtant proches, l’Italie raffinée du Quattrocento (la Venise du Tintoret) et une ville française ordinaire, contemporaine du poète.

Nord-Sud ?

J’aime ce poème depuis longtemps. D’autres aussi. Mais celui-là m’est cher à cause de sa profusion concise. La pomme, telle celles de Cézanne, irradie et donne à voir un monde. Elle est vivante, malgré les deux peintres morts. Et la terre même corsetée vit.

Un poème vibrant du seul silence des mots, « … la pomme rouge demeure ».

Sylvie Durbec