“Lire et relire Jean Follain, aujourd’hui”, 9, René Boulanger


Poesibao publie un nouveau feuilleton, intitulé ‘Lire et relire Jean Follain’, proposé par Elodie Bouygues. Neuvième contribution : René Boulanger.


Dessin d’Angelina Fasano d’après une photographie d’Yvonne Chevalier prise en 1945

Lire et relire Jean Follain aujourd’hui

En 2023, nous célébrons les 120 ans de la naissance du poète Jean Follain (1903-1971). Une journée d’études organisée par l’Université de Franche-Comté en partenariat avec l’IMEC se déroulera à l’abbaye d’Ardenne le 15 novembre, et un numéro spécial de la revue Europe est prévu pour début 2024. Dans le feuilleton suivant, poètes, écrivains, éditeurs contemporains rendent grâce à cet auteur, disent de quelle façon son œuvre a marqué leur sensibilité et comment elle continue à les accompagner aujourd’hui.
Elodie Bouygues.

Neuvième  contribution : René Boulanger

Lire les précédentes contributions..



Oserais-je dire tout net ce « J’aime Follain ! » qui tente tous les contributeurs de ce feuilleton ? Et détourner ensuite cette belle expression du « livre de chevet » en écrivant qu’il est mon « écrivain de chevet », un écrivain dont on possède toujours un livre près de soi et auquel on revient toujours ? S’il me fallait choisir un unique poème pour dire ce qui me lie à Jean Follain, ce serait

Pensées d’octobre

On aime bien

ce grand vin
que l’on boit solitaire
quand le soir illumine les collines cuivrées
plus un chasseur n’ajuste
les gibiers de la plaine

les sœurs de nos amis
apparaissent plus belles
il y a pourtant menace de guerre
un insecte s’arrête
puis repart. (1)

La poésie de Jean Follain est, dit-on, de concentration. La merveille de ces quelques vers est de nous faire vivre le bonheur d’un instant heureux, suspendu dans le temps, auquel nous nous sentons associés. L’amitié et l’amour remplissent d’espoir ces pensées d’un soir d’automne flamboyant. Les chasseurs s’en sont allés et leurs armes se sont tues. Le calme revenu donne tout son prix à ces instants d’une douce harmonie. Et pourtant prévient le poète, un terrible péril latent, et peut-être imminent, menace ce bonheur éphémère.

Dans « Le secret », le dernier poème du recueil Exister, il avait même condensé sa mise en garde en une maxime : la paix toujours se corrompt. Un insecte passe aussi indifférent et étranger à nos destinées que le ciel au-dessus de nos têtes ; il nous semble être à l’image de l’impassibilité de la nature. Avec l’infinie délicatesse de quelques mots simples, ce beau poème évoque nos existences composées de joies, de peurs mais aussi d’espérance.

À y regarder de plus près, cet insecte indéfini et insoucieux de nos destinées est un motif d’espoir comme un témoin de la permanence de la vie :

Certes le siècle assume une tâche qui peut mener à mainte destruction. Des jardins soignés, le chien familier couché au fond de la cour près d’un petit massif de persil très vert, un harnais qu’on astique au grand jour et l’enfant à qui sa mère offre le sein sur le seuil peuvent être en un instant anéantis. Pourtant le langage et le geste humains, ceux des bêtes et la paix vivante des végétaux comme aussi la rumeur de toutes choses, semblent vouloir durer que c’en est un comble, et le sang confiant continue sa course dans la nuit. (2)

Même si le temps s’emplit d’un futur peut-être redoutable (3), Jean Follain nous invite à cette confiance. J’aime ses courts poèmes « fragiles et indestructibles » (4) qui nous demandent d’opposer à la précarité de nos existences l’harmonie d’instants vécus avec intensité. S’étend une saveur d’éphémère (5), un soir d’automne, avec ce grand vin / que l’on boit solitaire dans une campagne apaisée.

Nous pouvons lire les petits textes de Jean Follain d’une dizaine de vers et les relire sans épuiser leur beauté et leur mystère. Il nous vient alors une folle – et sage – envie de les apprendre par cœur.

René Boulanger

Image : Dessin d’Angelina Fasano d’après une photographie d’Yvonne Chevalier prise en 1945


(1) Territoires [1953], dans Exister suivi de Territoires, Poésie/Gallimard, 2003, p. 140.
(2) Canisy suivi de Chef-lieu, Paris, Gallimard, 1986, p. 72.
(3) « Au jour de Pâques… », Appareil de la terre, Paris, Gallimard, 1964, p. 27.
(4) Emprunt au livre de Michel Murat, La poésie de l’après-guerre 1945-1960, Paris, Corti, 2022, p. 85.
(5) « Éphémère », Espaces d’instants, Paris, Gallimard, 1971, p. 36.

Note : René Boulanger et Jean-Pierre Heule viennent de publier : Jean Follain. Tout fait événement / pour qui sait frémir, Willaupuis (Belgique), Éditions Wapica, 2022.