“Lire et relire Jean Follain aujourd’hui”, 6, Georges Guillain


Poesibao publie un nouveau feuilleton, intitulé ‘Lire et relire Jean Follain’, proposé par Elodie Bouygues. Sixième contribution : Georges Guillain


Jean Follain, manuscrit de poème inédit, fonds Follain, IMEC

J’ai découvert la vie de village à la fin des années 1980. Un marronnier magnifique, beaucoup plus vieux que moi, imposait sur la place sa vigilante durée. Je me souviens aussi qu’il y avait un petit café-épicerie où, sur la route des carrières de marbre proches, les routiers s’arrêtaient le matin pour faire provision d’alcool. La gendarmerie était à deux pas. Mais l’époque était indulgente.
C’était la première fois que j’avais un jardin. Que les saisons comptaient pour moi. Et que je me sentais exister à travers ce qui m’entourait plus qu’à partir de ce qui depuis toujours, dans un brouillard d’images et d’idées, s’agitait en moi.
C’est à cette époque aussi que me sont revenues l’habitude, l’envie, d’écrire. De mettre des mots sur ma nouvelle existence.
Exister, ce livre de Jean Follain que je conservais depuis longtemps dans ma bibliothèque, se mit à me parler autrement. Plus comme porteur d’une forme de poésie hors d’âge, évoquant un monde depuis longtemps disparu mais faisant signe pour moi de tout un univers qui se mettait à vivre, se raccorder et s’ouvrir vraiment sous mes yeux. Je ne prendrai qu’un exemple. Mais il en est tant d’autres. À quelques pas de la maison il y avait encore une école primaire dont le chemin était le même que celui qui menait au cimetière qui lui était mitoyen. Je me souviens qu’un onze novembre au moment où Monsieur le Maire effectuait ce terrible appel aux morts qui m’a toujours impressionné, je me suis fait la réflexion que ces malheureux qui avaient non pas donné mais bien perdu leur vie au cours des affrontements barbares de la première guerre mondiale n’avaient eu que le temps de passer d’un côté à l’autre de ce muret qui séparait la petite cour de l’école du monument où se trouvaient inscrits leurs noms. Cela devint pour moi matière à divers poèmes que je plaçais dans L’Hiver est une main précise et dans Comme existé (oui), deux premiers livres qui furent loin de me satisfaire. Jusqu’à ce que je parvienne enfin à donner avec Compris dans le paysage, une forme plus juste et moins élémentaire à mon sentiment.
Quand j’y regarde aujourd’hui de près, voyant rouler le rouge de mes pommes, s’ouvrir mon paysage sur le temps, je vois à quel point les poèmes de Jean Follain, leur façon d’évoquer la difficile destinée des hommes, dans toute la clarté, la vibrante et merveilleuse épaisseur du monde qui d’une certaine façon les constitue autant qu’elle les ignore, m’auront guidé dans cette écriture.

Il naît un enfant
dans un grand paysage
un demi-siècle après
il n’est qu’un soldat mort
et c’était là cet homme
que l’on vit apparaître
et puis poser par terre
tout un lourd sac de pommes
dont deux ou trois roulèrent
bruit parmi ceux d’un monde
où l’oiseau chantait
sur la pierre du seuil.

Addendum :
Une trentaine d’années plus tard, c’est dans une autre campagne, au fond de l’arrière-pays ligure que j’emporte à côté des romans de Francesco Biamonte, mon vieil exemplaire d’Exister. Pour y apprendre cette fois, à parler seul. Rentrer dans ma maison d’argile. Et si le siècle est bien devenu pire, faire simplement du bois entassé pour le feu une réussite de la vie.

Georges Guillain

Retrouver les contributions précédentes signées Sylvie Durbec, Grégoire Delacourt, Françoise Delorme, Laurent Fourcaut et Bruno Fern