Poesibao publie un nouveau feuilleton, intitulé ‘Lire et relire Jean Follain’, proposé par Elodie Bouygues. Treizième contribution : Marie Huot

Madeleine Follain, dite Dinès, “Violettes au vase Pater”, collection privée.
Lire et relire Jean Follain aujourd’hui
En 2023, nous célébrons les 120 ans de la naissance du poète Jean Follain (1903-1971). Une journée d’études organisée par l’Université de Franche-Comté en partenariat avec l’IMEC se déroulera à l’abbaye d’Ardenne le 15 novembre, et un numéro spécial de la revue Europe est prévu pour début 2024. Dans le feuilleton suivant, poètes, écrivains, éditeurs contemporains rendent grâce à cet auteur, disent de quelle façon son œuvre a marqué leur sensibilité et comment elle continue à les accompagner aujourd’hui.
Elodie Bouygues.
Treizième contribution, Marie Huot
Lien vers les précédentes contributions en bas de page
Dans un texte intitulé « Lire commence dans la vigne », j’énumérais une liste des auteurs qui ont profondément compté pour moi et il y avait, entre autres, ceci :
Je lis Marina Tsvétaïeva parce qu’elle aurait pu porter un train sur son dos pour voir Pasternak et que c’est exactement cela qu’elle lui a écrit.
Je lis Emily Dickinson parce que son jardin est le monde.
Je lis Jean Follain pour ses poèmes qui ont le goût et la couleur mélancolique du lilas.
C’est cela, précisément, imprécisément, qui me vient, à évoquer la lecture de Follain, ce goût et cette couleur mélancolique du lilas.
Sans doute pour ce poème :
Le secret
Où gis-tu secret du monde
à l’odeur si puissante ?
parfois un ouvrier doux
dans la ville fiévreuse
tombe d’un échafaudage
et le vent sent toujours le lilas ;
un malheur tenace
habite les corps les plus beaux
les mains dans le soir se serrent
un animal s’endort
dans une loge qu’ouvragèrent les hommes
la paix toujours se corrompt
et la guerre
n’a plus d’âge.
C’est toujours ce poème qui me retient, me revient, avec sa persistante odeur de lilas.
Il me révèle aussi, je crois, la nature de mon lien avec cette poésie.
Ce poème semble rassembler un essentiel de la vie et de la mort autour d’une non moins essentielle question.
Car ce vers « où gis-tu secret du monde » n’est-il pas le creuset même de l’écriture, du poème ?
La question du « secret du monde » associée à ce lilas, son odeur, sa couleur, est pour toujours liée à Follain, et c’est pour moi l’image même de la poésie, sa source et sa fontaine.
Parce qu’il y a, dans ce poème, le corps vivant puis mort, le malheur tenace, la paix et la guerre, l’animal… les vrais grands mystères de l’humanité, mais comme posés sur une table, au centre de laquelle, un bouquet de lilas.
Ce bouquet, telle une lampe mauve, distille sur cela son odeur puissante et cette couleur des jours qui basculent lentement vers le soir.
Une manière d’aborder les mystères à hauteur d’homme, presque d’enfant.
Une manière d’éclairer et d’approfondir l’entièreté d’une vie d’homme et d’une vie de femme.
Car si brefs soient-ils « en surface », les poèmes de Follain ouvrent sur des profondeurs d’éternité.
Avec un petit bol un peu fêlé ils creusent « le secret du monde ».
Chaque poème, à travers un objet ou un geste, un paysage ou un être, soulève une minute éternelle.
Les assiettes et les livres, les chiens, les atlas, les œufs couleur d’ivoire. La chair frémissante sous un jupon ou serrée dans un corset, l’écolier devenu soldat le temps de franchir un mur, le sang qui coule.
Et toutes les bêtes apeurées, et les ouvriers, les laboureurs, les fillettes et les femmes…
Rien ne manque pour approcher le secret, les mystères, et aujourd’hui encore, Follain puissamment nous parle, car toujours les hommes sont « en proie à la grande peur » et « la guerre n’a plus d’âge ».
Lire Follain c’est se tenir craintif à cheval sur une fenêtre, connaître les menaces, et s’apaiser d’un geste, tout à la fois dedans-dehors, dans la maison et dans le monde. En son plus grand secret.
Marie Huot
1. Sylvie Durbec
2. Grégoire Delacourt
3, Françoise Delorme
4, Laurent Fourcaut
5, Bruno Fern
6, Georges Guillain
7, Christian Désagulier
8, James Sacré
9, René Boulanger
10, Bernard Fournier
11, Pascal Boulanger
12, Pascal Commère
13, Marie Huot