‘Lire et relire Jean Follain aujourd’hui’, 3, Françoise Delorme


Poesibao publie un nouveau feuilleton, intitulé ‘Lire et relire Jean Follain’, proposé par Elodie Bouygues. Troisième contribution : Françoise Delorme


Jean Follain en 1943, par Lucienne Teissier du Cros (Musée d’art et d’histoire de Saint-Lô).

Lire et relire Jean Follain aujourd’hui

En 2023, nous célébrons les 120 ans de la naissance du poète Jean Follain (1903-1971). Une journée d’études organisée par l’Université de Franche-Comté en partenariat avec l’IMEC se déroulera à l’abbaye d’Ardenne le 15 novembre, et un numéro spécial de la revue Europe est prévu pour début 2024. Dans le feuilleton suivant, poètes, écrivains, éditeurs contemporains rendent grâce à cet auteur, disent de quelle façon son œuvre a marqué leur sensibilité et comment elle continue à les accompagner aujourd’hui.
Elodie Bouygues.

Troisième contribution : Françoise Delorme

voir l’ensemble des publications de ce feuilleton au fur et à mesure de leur parution


 « Le poème est le lieu miraculeux où se rencontrent comme par nécessité des éléments arrachés pour l’éternité à la contingence de leurs trajectoires » écrit Jean-Yves Debreuille pour conclure son beau livre sur Jean Follain Un monde peuplé d’attente. Grâce au volume Poésie-Gallimard Exister, j’ai rencontré Jean Follain à la fin de mon adolescence. Le premier poème de lui qui s’est inscrit en moi, avec une force majeure et pour toujours, est tout simplement le premier poème d’Exister : « Parler seul ». Souvent, je me le récite, surtout quand tout menace de s’effondrer. Comme contingence et nécessité y vont de concert, la vie continue de nouveau, à chaque fois, celle des poèmes aussi… Pour moi qui suis céramiste, l’éphémère « maison d’argile » brille dans « un soleil de gloire » célébré pour moi seule, mais dans l’orbe de toute une galaxie.
Comme je cherchais comment sortir du mystère surréaliste qui me frustrait de toute la vie telle que je pense la vivre, telle que je voulais la lire et l’écrire, la manière dont Jean Follain fait de la contingence non un dégagement vers un inconnu magique superlatif, mais plutôt un accès fragile au réel dans son intégralité et son intégrité, m’a émue et conquise.
Le cercle de chaque poème, toujours court et d’une rare densité, reprend le « cercle de l’univers » dans sa courbure, précaire totalité contrastée et divergente souvent initiée par un « il arrive que ». Chacun, définitif, rassemble un instant dans toute sa complexité disruptive et le resserre dans une forme close et poreuse faite de mots qui nous extrait de l’écrasement absolu, nous allège, nous éclaire, mais sans leurre. J’en aime l’extrême tension entre joie et douleur, la fêlure toujours visible. Je trouve juste la relation que le poète suppose entre les mots et les choses. J’aime qu’il ait écrit « Il y a le mot mais il y la chose : c’est pour cela qu’il m’a été presque impossible d’apprendre une langue étrangère. Je pense que, quand on a ce sentiment, quand on lie trop le mot à la chose qu’il désigne, on ne peut pas rompre cette union ».
Tout le monde se conduit fort à la légère avec la langue, et avec les choses. Je supporte mal qu’on dise « mais ce n’est que des mots », d’où s’en suivent d’après moi tous nos déboires, tous les problèmes de toute-puissance destructrice dans lesquels nous nous débattons aujourd’hui, qui nous reviennent en boomerang par manque de considération, de réflexion. Jean Follain aimait penser que le poète est un « expert en attention » selon le mot de Jean Cassou. Un poème comme « Parler seul » harmonise dans un même élan de nombreuses dimensions terrestres, humaines et cosmiques, temporelles et spatiales. Un « dehors » et un « dedans » deviennent enfin et soudain commensurables, par la grâce d’une barrière qui s’ouvre simplement, pour chacun et pour tous, sur la limpidité d’un crépuscule, un « entre-deux » lumineux avant la nuit que l’on explore et contemple, qui que l’« on» soit :

Il arrive que pour soi
l’on prononce quelques mots
seul sur cette étrange terre
alors la fleurette blanche
le caillou semblable à tous ceux du passé
la brindille de chaume
se trouvent réunis
au pied de la barrière
que l’on ouvre avec lenteur
pour rentrer dans la maison d’argile
tandis que chaises, table, armoire
s’embrasent d’un soleil de gloire.

(Exister, dans Exister suivi de Territoires, Poésie/Gallimard, 1960, p. 15)

Françoise Delorme