Poesibao publie un nouveau feuilleton, intitulé ‘Lire et relire Jean Follain’, proposé par Elodie Bouygues. Dixième contribution : Bernard Fournier.
Portrait d’Eugène Guillevic, page d’un carnet de 1963, fonds Jean Follain, IMEC.
Lire et relire Jean Follain aujourd’hui
En 2023, nous célébrons les 120 ans de la naissance du poète Jean Follain (1903-1971). Une journée d’études organisée par l’Université de Franche-Comté en partenariat avec l’IMEC se déroulera à l’abbaye d’Ardenne le 15 novembre, et un numéro spécial de la revue Europe est prévu pour début 2024. Dans le feuilleton suivant, poètes, écrivains, éditeurs contemporains rendent grâce à cet auteur, disent de quelle façon son œuvre a marqué leur sensibilité et comment elle continue à les accompagner aujourd’hui.
Elodie Bouygues.
Dixième contribution : Bernard Fournier
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J’ai appris à aimer Jean Follain à travers Guillevic. Cette amitié de poètes m’a ému. Leurs écritures se ressemblent : poèmes brefs, attentifs aux choses et aux êtres.
Puis je l’ai retrouvé dans la revue Le Beau navire avec Audiberti pour qui il devait écrire une monographie (1). Ils dînaient ensemble au Rocher de Cancale. Si cette fois les poètes ne se ressemblent pas, ils s’apprécient l’un l’autre. Ainsi Audiberti ne cache pas son admiration pour l’évocation que Jean Follain fait de Paris (2) : « […] tu sais avec quelle naïve et fraternelle absence de dissimulation je t’ai quelquefois laissé entendre combien, de tes vers, la qualité intime m’agréait, alors que me déconcertait un peu leur absence de prosodie immédiatement communicable. Combien je suis heureux, combien je suis profondément heureux de te dire que Paris est un chef d’œuvre, une chose inouïe, une soupe avec son odeur, un ange avec la crasse entre ses doigts de pied, un jardin d’ombres charnues […]. Quelle merveille rouée que ce style, car c’est un style, un nombre constant, une cadence animée, la ritournelle d’une personne, une épique translation d’effluves et de démarches, d’architectures et de riens. » (3)
On le voit, Jean Follain fait partie d’une communauté de poètes, celle proche de l’École de Rochefort, ancrée dans la terre et les hommes, pour qui « La durée des villages est dans l’ordre profond » (« Villages mélodieux, Usage du temps, p. 158), car « Il ne s’agit pas de panégyrique, ô poète / mais de voir les choses / telles qu’elles sont » (p. 84).
Voici un poème, qui, précisément, nous attache à la communauté humaine dans ce qu’elle a de tragique et de merveilleux.
Signes pour voyageurs
Lorsque vous verrez une fille
tordant dans des mains de splendeur
une chevelure immense et noire
et que par surcroît
vous verrez
près d’une boulangerie sombre
un cheval couché dans la mort
à ces signes vous reconnaîtrez
que vous êtes parmi les hommes. (Usage du temps, p. 219)
Et ce poète, on le retrouve dans les brouillons publiés par la Revue des sciences humaines, « Faut lire Follain » (4). On y voit avec quelle attention il corrige son texte dont cependant il garde le premier vers (celui venu des dieux ?) :
Le jour n’est pas fini
et l’homme dort
sous un ciel sans terreur
bientôt il lui faudra porter
le maïs et l’orge
le sarrazin couleur gris de souris
le son rosâtre
puis s’enfoncer par le chemin
avec le dernier sac bossué
d’avoine blême.
On ne sait ce qu’on apprécie le plus ici, de l’évocation nostalgique des travaux des champs, de l’arc en ciel des couleurs ou encore cette expression de « sac bossué ».
De Follain, j’aime son attention portée à la cuisine, aux vêtements, aux uniformes et surtout au langage, notamment ce beau petit livre traitant de l’argot ecclésiastique (Pauvert, 1966).
J’aime, chez Follain, le poème bref, concentré sur lui-même et qui offre tout un monde ; on ne comprend pas tout tout de suite et c’est ce qui en fait le charme. On est surpris aussi par la chute, souvent étonnante, qui résonne longtemps après la lecture et qui, parfois, trouve son sens alors qu’on ne s’y attendait pas.
Pour moi, il est un « petit maître », expression qu’on emploie à propos de certains peintres hollandais du XVIIe siècle. Et cette expression n’a rien de péjoratif, bien au contraire. Il faut prendre le mot « petit » dans le sens de la communauté humaine. Jean Follain n’est pas grandiloquent, il n’écrit pas d’épopée ; il se cantonne au monde qu’il connaît, si petit soit-il, entre Canisy et Paris qu’il rend universels.
Bernard Fournier
(1) Jacques Audiberti souhaitait demander à Hélène Lavaÿsse, sa secrétaire, de l’écrire. C’est André Deslandes qui la rédigera en 1964.
(2) Jean Follain, Paris, Corrêa, 1935.
(3) Audiberti, lettre à Jean Follain de 1935, Cahiers Bleus, n° 4, printemps 1976, p. 41.
(4) Gérard Farasse (dir.), Revue des sciences humaines, « Faut lire Follain », n° 265, janvier-mars 2002, p 203.