“Lire et relire Jean Follain, aujourd’hui”, 11, Pascal Boulanger


Poesibao publie un nouveau feuilleton, intitulé ‘Lire et relire Jean Follain’, proposé par Elodie Bouygues. Onzième contribution : Pascal Boulanger



Lire et relire Jean Follain aujourd’hui


En 2023, nous célébrons les 120 ans de la naissance du poète Jean Follain (1903-1971). Une journée d’études organisée par l’Université de Franche-Comté en partenariat avec l’IMEC se déroulera à l’abbaye d’Ardenne le 15 novembre, et un numéro spécial de la revue Europe est prévu pour début 2024. Dans le feuilleton suivant, poètes, écrivains, éditeurs contemporains rendent grâce à cet auteur, disent de quelle façon son œuvre a marqué leur sensibilité et comment elle continue à les accompagner aujourd’hui.
Elodie Bouygues.

Onzième contribution : Bernard Fournier

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Jean Follain, la profondeur discrète

J’ai toujours laissé jouer le désordre et le disparate dans mes lectures, multipliant en autodidacte les approches et les oppositions. J’ai intégré les interdits jetés par la modernité critique (celle incarnée par le collectif « Tel Quel » notamment) et en même temps j’ai regretté le tarissement du chant porté par la modernité négative. Dans les années 80/90, toute la Bibliothèque fait sens et sensation pour moi, et l’écriture de Jean Follain, échappant à la fois à l’esthétique du silence et du non-sens et à celle du vacarme et de la performance, ne pouvait que me séduire.
Dans la poésie et dans la prose de Follain, il n’y a plus de fossé infranchissable entre le poète et l’humanité tout entière. À l’inverse, il y a toute une horlogerie sensible à la vulnérabilité des choses vivantes. Ici, pas d’énigme à résoudre ni de solipsisme, mais le mystère de l’existence à dévoiler. Pas de ton oraculaire ni d’exaltation métaphysique, mais la perception élargie de l’instant et de l’immanence. Le poème supporte tout ce qui conditionne la vie terrestre : infidélité et oubli – violence aussi – et les limites entre, d’un côté le ciel et sa parousie et de l’autre, la terre et son lot de désolation. Tout est assumé par une intense intimité et solidarité avec l’humain.
Reconnaissant ma dette envers Follain, j’ai inscrit en exergue à mon livre Mourir ne me suffit pas (Éd. de Corlevour, 2006), ce court extrait de l’un de ses poèmes : « La même lettre de plomb / sert pour imprimer / l’infâme décret mortel / et la prière au ciel chrétien ». Tout le paradoxe entre l’histoire monumentale et le divin de l’homme se révèle dans ces mots. Je n’ai pas voulu imiter Follain dans ma propre écriture, mais je me suis aperçu que dans certains de mes recueils, je m’étais approprié sa prosodie, son vers libre, son rythme et sa voix.
Pour Follain, la beauté ne renvoie pas à un idéal qui serait au-delà du monde, mais à la présence qui trouve l’espace de son déploiement dans le sensible. Quand il y a image poétique, celle-ci est comme un infini donné au moment même où il se révèle. Son poème-chevalet, concis et ramassé, qui peut, du reste, atteindre une certaine sécheresse et rudesse, devient miroir d’un temps qui n’est ni passé ni oublié mais illimité dans son présent de toute éternité. Le lien se fait alors dans la rencontre entre un événement et son prolongement en poème humble et fragile, entrant sans effraction dans l’intime par une curiosité attentive et patiente. Il s’agit de prolonger l’instant, de le cadrer, de procurer une vertigineuse abréviation qui laisse aux sensations de lecture le temps de durer et de s’inscrire en profondeur.
Le monde familier, la vie ordinaire, le passage des saisons, l’épiphanie des visages, les champs, les usines, les églises, les bêtes nomades et domestiques, sont perçus dans une lueur discrète, comme des traces feutrées qui affirment la présence secrète des choses. Parfois, on sent une ardeur fragile dans le poème de Follain, parfois c’est un drame qui s’annonce ou qui a eu déjà lieu. Et face à la glaciale et répétitive quotidienneté, face à la tragédie du temps lui-même et de la finitude, le poème toujours se fait sobre et tendre.
Si, depuis les années 80/90, la poésie de Follain séduit autant, n’est-ce-pas parce qu’elle évoque, convoque et aime la France d’avant ? Celle des villages et de ses églises, celle des chaises de paille, des prairies, des forces de la terre et des vents de mer, celle des journaliers et des fourneaux, des faubourgs et des enfants pauvres, des paysans, des tisserands et des soldats, celle enfin des servantes, des ouvrières et des « filles en proie aux rages amoureuses ».
« D’après tout » (Gallimard, 1967)… la terre tourne ! Comme ces cerceaux d’enfants qui font la ronde, un peu avant que tombe la nuit, avant le ciel sombre et ses méandres étoilées qu’il faudra « regarder pour durer / deviner ».

Cerceaux

Des femmes à cheveux longs
ont orné ces enfants
dont courent les cerceaux
sur la route durcie
une première étoile
se montre au jardin.
La paix s’étend sur ces communes
où l’on aime à regarder les astres
pour durer
deviner.

Pascal Boulanger