Trois poèmes de Noah Elie Gordon (1975-2022), traductions inédites.


Traductions inédites du poète américain Noah Elie Gordon (1975-2022), proposées par Jean-René Lassalle, dans son dossier mensuel de traduction. /



Une exacte compréhension de l’intention du compositeur

Ciel sans nuage, racine vrillée, un accord débuta
            comme déploiement de durée & les mots perdus de soi,
un dictionnaire rouge, une définition vide

rassemblant son discours – le flux d’un contenu
            à une perception : le langage est un transfert de grâce.
À dire le corps, dire le cœur, composition en bleu,

l’énergie transitoire, cellule, progression, inévitabilité ;
            un impact jusqu’à ce que le sens s’effiloche
dans l’opulence de l’esprit, son fuseau – un fil blanc.

Dévidé vers une conviction, l’on dit lune, une, émotion
            la récurrence de la nuit : une porte va s’ouvrir,
glissant de l’anonymité à une intellection – le transfert

d’une vision avec parole, éveillée non par une voix
            mais par ce qui la précède : un ensemble-monde, sans mots
une mesure de son ou mouvement vers chant.

Source : Noah Eli Gordon : A Fiddle Pulled from the Throat of a Sparrow , New Issues 2007. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.

An exact comprehension of the composer’s intent

Cloudless sky, a tendril root, a chord begun
as unfolding duration & one’s lost words,
a red lexicon, an empty definition

gathering its discourse—the flow from content
to perception: language is a translation of grace.
Say the body, say the heart, a composition in blue,

the passing energy, cell, motion, inevitability;
an impact until meaning wears through
the mind’s opulence, its spindle—a white thread.

Tethered to conviction, one says moon, one, emotion
—the recurrence of night: a door will open,
shifting from anonymity to intellection—a translation

of sight with speech, awoken not by voice
but what precedes it: the worldliness, wordless;
a measure of sound or movement to song.

Source : Noah Eli Gordon : A Fiddle Pulled from the Throat of a Sparrow , New Issues 2007.

*

Vésuve

Ce fut d’abord un feu
Puis des volcans
Et l’ultime angoisse qui garde
La porte de ma fille ouverte
À travers la nuit
Est-ce cela avoir peur
Y a-t-il un narrateur dans ce spectacle
Elle demande tandis que l’autorité
De la voix off dans le dessin animé
Perd ce que j’imagine d’une crédibilité
Dans l’esprit d’une enfant de 6 ans
C’est un mythe de la création
Celui qu’elle regarde
Car il y avait une intention
Durant des mois avant sa conception
J’ai eu peur d’une relation sexuelle
Comme s’il y avait une réponse
Qui puisse éclipser cette
Complication nouvellement découverte
Comment ne pas être effrayé
D’être effrayé demande-t-elle
Ne jamais faire confiance à l’autorité
Du narrateur je voudrais
Lui dire cela mais je mentirais

Source : Noah Eli Gordon dans le site poets.org, 2019. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.

Vesuvius

It was at first fire
Then volcanoes 
Now the latest fear keeping 
My daughter’s door open
Through the night
Is that of being afraid
Is there a narrator in this show 
She asks as the authority  
Of the voiceover in the cartoon
Loses what I imagine as credibility 
In her six-year-old mind
It’s a creation myth
The one she’s watching
Because it was intentional 
For months before her conception 
I was afraid of having sex
As though there’s an answer 
That would eclipse this 
New-found complication
How can I not be scared 
Of being scared she asks
Never trust the authority 
Of the narrator I want 
To tell her but I’d be lying

Source : Noah Eli Gordon dans le site poets.org, 2019.

*

Actualise. Actualise. Actualise.

Je pourrais te donner un autre jour d’ivresse
dans son aparté pour la circonférence réticente
de l’arrêt orbital en vétusté d’un triste triste satellite.
Tu ne peux bondir d’un pied plombé, et tu ne peux
anthropomorphiser l’anticipation d‘un insecte, ne peux
pixéler la nostalgie d’une carte postale, non tu ne peux
tracer la mince main d’un garçon et le nommer
roi de quoi que ce soit qui traverse ton sentier, ton passé,
ta réticence iconographique à céder à l’emprise
du New York ordinaire qui tant se prolonge la nuit, si
lascif dans son trafic & un autre orphelin ruant
distraitement dessous l’assise d’une chaise en plastique orange.
Les poèmes ne devraient pas faire désirer leur fin.
Comme l’amour, ils devraient finir en laissant désirer.

Source : Noah Eli Gordon dans le site poets.org, 2010. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.

Refresh. Refresh. Refresh.

I’d give you another day dizzy
in its bracket for the reluctant circumference
of a sad sad satellite’s antiquated orbital stoppage.
You can’t jump with a lead foot, can’t
anthropomorphize insect anticipation, can’t
pixelate postcard nostalgia, can’t
trace a boy’s tiny hand and call him
king of anything that crosses your path, your past,
your iconographic reluctance to let go the toehold
of ordinary New York lasting so long at night, so
lusty in traffic & another orphan absently
kicking the underside of an orange plastic chair.
Poems shouldn’t make you wait for them to finish.
Like love, they should finish making you wait.

Source : Noah Eli Gordon dans le site poets.org, 2010.


Noah Eli Gordon est un poète états-unien né en 1975 qui a co-fondé les éditions Letter Machine. Il a été activiste dans plusieurs organisations tentant de rendre le monde plus juste. Influencé par la poésie philosophique d’Edmond Jabès et l’étrangeté des images de Michael Palmer, il dit sur son travail : ‘J’aime tordre et étirer l’arc de la phrase. Idéalement, c’est une affinité avec l’impulsion surréaliste d’étendre le possible.’ Ses poèmes en prose serpentent dans un domaine entre théorie et lyrisme. Noah Eli Gordon a une tendance graphomane qu’il vit en écrivant beaucoup, mais il l’encadre de structurations conceptuelles : ainsi dans son œuvre The Source il a noté pendant 1 an des mots de la page 26 d’environ 10.000 livres de sa bibliothèque municipale pour composer des paragraphes touffus et méditatifs tournant autour d’une ‘source’ métaphysique ; le nombre 26 en numérologie hébraïque étant la valeur numérique des 4 lettres du nom de Dieu (Tétragramme).
Malheureusement j’apprends que Noah Eli Gordon est décédé il y a quelques mois. Il enseignait à l’université du Colorado et était très aimé de ses étudiants comme des professeurs, et aussi de ses collègues poètes.

Bibliographie :
The Frequencies, Tougher Disguises 2003
The Area of sound Called the Subtone, Ahsahta 2004
Inbox, BlazeVOX 2006
A Fiddle Pulled from the Throat of a Sparrow, New Issues 2007
Figures for a Darkroom Voice, Tarpaulin Sky 2007 (avec le poète Joshua Marie Wilkinson)
Novel Pictorial Noise, Harper Perennial  2007
The Source, Futurepoem 2011
The Year of the Rooster, Ahsahta 2013
The Word Kingdom in the Word Kingdom, Brooklyn Arts 2015
Is That the Sound of a Piano Coming from Several Houses Down?, Solid Objects 2018

Sitographie :


. Un poème d’une série instantanée de Noah Eli Gordon (écrit sur son smartphone), avec explication de l’anecdote et mp3 á cliquer pour l’entendre le lire

. Long entretien de 2007 avec Noah Eli Gordon dans la revue Rain Taxi

. Vidéo de 8 minutes d‘une lecture collective de „The Source“ où Noah Eli Gordon en chef d’orchestre déclenche l‘un ou l‘autre des lecteurs en leur tapotant le dos

Traductions inédites et présentation de Jean-René Lassalle