“Jeu, sets et malt” de Christophe Roque et Jules Vipaldo


Tables de café, partout dans le monde, photos de Christophe Roque et textes de Jules Vipaldo pour cette amusante fantaisie.


Christophe Roque, Jules Vipaldo, Jeu, sets et Malt, éditions Le Parasol Pleureur, 2023, 56 p., 10 €

On sait que l’inclassable Jules Vipaldo aime à s’acoquiner. C’est avec Christophe Roque, photographe et comédien, qu’il commet son dernier livre, Jeu, sets et Malt. D’une présentation sobre, à l’instar de la couverture, l’ouvrage est composé des photographies de Christophe Roque sur la page de gauche accompagnées des textes de Vipaldo, courts poèmes inspirés sur la page opposée. Les deux propositions sont séparées d’une plage de blanc, un espace de respiration participant à la plasticité de l’ensemble. Si bien qu’à simplement le feuilleter, on peut légitimement s’interroger sur le statut de l’objet. Catalogue, menu, revue publicitaire ? Il est vrai que les photographies de Christophe Roque, des tables de cafés encombrées de leur matériel de consommation usuel (tasses, cuillères, sachets de sucre, cartes de menus, verres), prises le plus souvent en plongée, confèrent au volume son aura de glamour estivale et son parfum de villégiature. Les photos ont en effet été prises lors de voyages, de ces pauses ressourçantes entre deux visites, deux découvertes, le café (en tant qu’établissement) étant bien souvent un bel échantillon de couleur locale. Roque donne à voir/ à boire ses objets de consommation in situ dans un cadre où l’écrit se mêle à l’image : nom du café, bribes de menu, serviettes floquées du sigle de l’établissement, autant de subtiles mentions, même tronquées, d’une présence exotique. Dimension cosmopolite (Huesca, Bergame, Paris, Athènes, Angkor…) qui fait de chaque image un véritable précipité en soi : aucune n’est interchangeable, des azulejos de Lisbonne à la carte d’Afrique de Nairobi en passant par les lunettes de soleil de Saint-Tropez. Voilà pour ce que l’artiste a décidé de montrer, mais (à l’image des blancs séparant les photos des poèmes de Vipaldo) il reste à interroger les manques, ce qu’on suppose autour et qu’on se plaît à deviner. Deux petites cuillères autour d’une seule pâtisserie au Grand café Malarte d’Arles et c’est toute une fiction qui s’installe (le café trop cher pour avoir deux Paris-Brest ? manque d’appétit d’un des deux convives?).
C’est à partir de cette potentialité inséminatrice que Jules Vipaldo va fourbir son texte, présenté par Edgar Tampion en postface comme des vers « à siroter ». La lecture de l’image prend alors un autre tour, par la langue espiègle de Vipaldo. Quatrains, formes éclatées, quasi-sonnet (« Paris, Orsay »), la forme est d’une matière aussi variable que les jeux sur la langue : rimes aléatoires, jeux de mots, paronomases (« Le fish s’en fiche », p. 17), blagues (« Blague is beautiful »p. 13), Vipaldo fait feu de tout bois, se saisissant des mentions onomastiques de l’image pour les détourner. Par le biais de l’oralité le syntagme donne à l’image de nouvelles potentialités : « La menthe ne ferait pas le même effet que l’amante » (« Arles (France), le Méjan », p. 5). Pareillement, la « paire de verres (…) paire de lunettes de soleil » (« Sausset-les-Pins » (France, Aloah Beach », p. 7) donne littéralement à voir ce que le photographe n’avait pas forcément désiré souligner (deux verres d’eau posés à côté d’une paire de lunettes). Ainsi l’implantation géographique du café est-elle toujours prise en compte. Athènes n’est pas Arles et les tables offertes aux consommateurs ont leur spécificité iconographique et verbale. Au jeu des couleurs tendues et volontiers vintage répond celui des mots aux références joliment surannées (« Marine est là », p.53), (« (Désir lisse sans Desireless!)/FACE à quoi même Bidart/(« Vous avez dit « Bidart »)/finit par hurler:/ « Lâchez-leur les basques ! » (Bidart, Ilbarritz, Côte Basque (France), restaurant la Plancha).
Il ressort de ce recueil caféiné une lecture régénérante qui, bien entendu, peut s’effectuer sur le mode aléatoire. Une incitation à jouir des moments de vie synesthésique aux terrasses, de ces parenthèses aux arômes évocateurs indispensables à tout périple. « Nous aimons nous embusquer/Aux terrasses (de l’âme/Et du « bien-vivre »),/ Et « regarder passer les gens » !/Et regarder le TEMPS et les GENS/QUI PASSENT ! » (Aigues-Mortes (France), restaurant Bo-Em, p. 47). De ces instantanés de l’ordinaire Vipaldo et Roque font leur carpe diem, une invitation à observer et goûter les choses dans leur plus émolliente simplicité tout en restant dans la sphère du dialogue esthétique.

Jean-Marc Pontier

Christophe Roque, Jules Vipaldo, Jeu, sets et Malt, éditions Le Parasol Pleureur, 2023, 56 p., 10 €

Extrait (p. 43) :
« Nue, la fleur,
Trop tôt ou trop tard cueillie,
Un matin, en Italie,
A l’heure bénie
Du café en terrasse !

Car, voyez-vous, tout passe,
Excepté le goût
Que nous avons des choses
ET DE LA VIE ! »

(Stresa, Lac Majeur (Italie), Cafeteria Della Sera)