Des extraits de “Bestiaire” de Donika Kelly, traduits par Raluca Maria Hanea et François Heusbourg, choisis par Isabelle Baladine Howald
Donika Kelly, Bestiaire, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Raluca Maria Hanea et François Heusbourg, Editions Unes, 2023, 75 p, 18 €
Autoportrait en porte
Tous les oiseaux meurent de choc traumatique—
contre une grange un câble un STOP ou un RALENTIR
JEUX D’ENFANTS. Tu es un panneau
es une planche es un radeau es un chêne abattu.
Tu es une poignée es un verrou es un morceau
de cuivre poli avec amour.
Quels oiseaux quels insectes quelle main
Douce viennent toquer. Quel écho
quel vide quelle pièce en manque
de tableau de miroir d’un peu de peinture
sur le mur. Il y a une tapisserie.
Il y a une main dure comme tu es dure
en frappant à la porte. Sur le paillasson
il y a une chouette à l’œil ouvert par une botte par un corps
avec un arbre en signe de main. Ce qui se juche
sur ce qui se terre ce qui se brouille
en frappant. Il y a une toi
de l’autre côté, froide et blanche
comme la pièce, en manque de fenêtre
ou d’un œil. Il y a ta main
sur la porte qui est désormais la porte
qui prétend être une chose qui s’ouvre.
(26)
***
Ta maison est là où sont tes chiens. Ta maison est là
où sont tes dieux. Tes pieds sont assez
froids. Le petit tremble encore sur ton
ventre. Tu es en train de devenir elle.
Les ratés du clavier. Le standard, j’écoute. Je
pourrais être en train de mourir. Morte. Bientôt, comme ma
mère, qui s’est enfin rappelé mon
nom.
(40)
***
Poème d’amour, satyre
J’ai limé mes cornes et taillé ma barbe
et réchauffé ma gorge d’un petit gazouillis sobre
et délicat. Je chante une chanson dans la clef
de ton nom. Je t’appelle avec un souffle
de printemps, un petit vent dans ma poitrine
et formé par les lèvres que tu aimes. Amour je vois
que tu as barré la fenêtre de ton cœur.
Barré, aussi, la porte, et éteint la lumière.
Je colle mon oreille contre la vitre, contre le bois. J’entends
ton cœur comme le vent dans les roseaux,
diffusant mon nom.
(54)
Donika Kelly, Bestiaire, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Raluca Maria Hanea et François Heusbourg, Unes, 2023, 75 p, 18 €
Un premier livre traduit en France, d’une grande force, âpre et comme brûlé, qui aborde le corps humain mêlé de corps animal et inversement, empruntant des figues mythologiques qu’elle transforme ensuite, selon sa propre vie, selon le mal fait à son corps par son père, selon les possibilités de métamorphoses que ces figures de bestiaire peuvent permettre.
Passer de l’une à l’autre de ces figures animales permet à l’enfant-fille du poème de poursuivre son chemin vers un corps de femme qui pourra de nouveau s’ouvrir et laisser la porte, ce terrible symbole, ouverte, même quand elle dort…
C’est un recueil très puissant, que je trouve bouleversant, qui n’empêche pas la douceur d’apparaître, au bout d’un long chemin.
Isabelle Baladine Howald
Choix d’Isabelle Baladine Howald.
NDLR :On peut aussi consulter le site de l’éditeur, Unes. Fiche du livre, présentation de l’auteur