En complément de la lettre à Paloma Hermine Hidalgo de Jean-Pascal Dubost, ces extraits des deux livres cités.
Paloma Hermine Hidalgo, Cristina, Le Réalgar, 2023
Paloma Hermine Hidalgo, Rien, le ciel peut-être, éd. Sans Escale, 2023, 16€
Extraits de “Cristina”
Froufrous, tutus, ruches de dentelles soufflées en arc-en-ciel : nos corolles s’ouvrent, corail, crépues sous l’élasthanne. Les nerfs se tressent, jouent sous la peau. Les petites filles, d’où gicle l’androcée, comme d’une rose les carpelles, dansent à la barre. Cache-cœur, tarlatane renversée, jambes en pistil que dévoilent les pointes, le grand jeté. Seule, en coulisses, je déchiquette mon escalope, passionnément, à la folie, pas du tout : joie d’effeuiller Maman à la manière des hommes. Dans ma bouche, une berceuse. Wiegenlied de Brahms.
(P. 20)
*
Aube, fouetté de cils roux. Mirabilis et belles-de-nuit s’étiolent. Je marie mes doigts aux siens, rampe contre son torse : ancrées dans sa peau, des images de pirates, de typhons, de tropiques. Sa cuisse touche la mienne – ruisselet de soie sur mes reins. Il me cloue sur les giroflées, me ravage entre les perce-neige, une larme de mercure roule sur mes lèvres.
(P. 25)
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Face à lui, en culotte de bikini, taille huit ans. Autour du cou, une croix, retenue par une chaînette. Il m’assoit sur le capot brûlant de la Jaguar, ouvre mes jambes, me force à cueillir, loin au-dessus de moi, une branche de figuier. Le bras droit en extension, j’allonge la poitrine, bande mes muscles, durcis les tétons. Pour ne pas perdre l’équilibre, j’écarte encore les cuisses, à cent quatre-vingt degrés. Amazone. Vénus anguleuse. Dans l’arbre, un chat, museau en avant. Photo :
Ouistiti sex !
(P. 33)
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Je maraude parfois, dans les vergers, pique des coings, des poires, au péril de ma peau. Guettant le crépuscule, toute givrée de sueur, je grapille des nèfles. Souvent, la peur me gagne. Je trouve refuge sous la charmille où frétillent les lézards, je rampe au pied des vignes, parmi l’ortie, le houx, la ronce, surveille le portail par lequel je crains de le voir rentrer. J’imagine mille fois la suite : avant de me violer, il me demande de lui faire un café ; je le lui sers, soumise, tramant un sortilège pour déjouer ses plans. Ou bien encore, il me sépare de Maman, qu’il s’en va dépecer plus loin. Cris, appels, supplices. Je m’éveille à la nuit tombée sous le regard d’un lièvre. Ma gorge se noue. Sauts, bruissement lustré. Le lièvre détale parmi les ceps. La lune se lève et, par une trouée, baigne le sol. J’écrase mes larmes, mon sang goutte.
(P. 41)
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Maman sommeille sur le flanc. Cheveux noirs épandus, peau de grenadille que percent les aréoles. Il vient de toutes parts, sillonne les reins, le ventre, s’acharne dans les courbes, les glisse, les vrille, les roue de délices. Ses bras l’étreignent, dégorgent de laves. Comètes, nœuds éclatants, auréole des muqueuses. Elle cambre, elle écartèle. Elle fixe l’élan musclé, gicle en brasier d’or : café, miel, sucre roux. Une nuit tombe, piquée de gemmes, de jaspes — Voie lactée en enfer. Je regarde flamber la Madone dans la mort.
(P. 67)
Extraits de “Rien, le ciel peut-être”
Je te magnifierai, putain, si tu me donnes la main – plante docile qui, dans sa pause muette, sans mouvement ni tiédeur, se refuse en toute chose. Donne : je te sacrifierai colombe, pur agneau, te ferai l’offrande d’os de seiche, de corne de narval – s’il s’en échoue sur la côte.
(P. 13)
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Nativité. Voile-moi de festons, langes, cédrats confits, pistaches, pour ton désir à pâle dentelure. L’alcôve : notre crèche. Dans le ciel, derrière l’astre à queue, trompettent les anges – musettes, hautbois, tambours de basque s’étoilent en messe païenne. Tu danserais presque, madonne, comme au sein danserait ton enfant. Bêtes, orgues, météores, en soufflerie – concorde universelle.
(P. 26)
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Ne brûle pas, chérie, de ces anciens tourments qu’à l’ombre des glycines j’ai voulu t’infliger. Ce que j’ai pu commettre, frivole, nymphette, je m’en blâme plus encore que de t’avoir giflée. Catin, fruit pendu au verger : quelle force est d’amour, si rudement patiente, et qui ne se flétrit ? Tant qu’à tes yeux j’eus quelque attrait, qu’à nulle poutrone n’alla ta tendresse, et à ses doigts ton suc, j’ai vécu plus comblée qu’une reine de Palmyre.
(P. 36)
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Ce qu’à tes lèvres je porte d’offrande obscène, selon ces lois aqueuses de Lesbos notre atoll, accepte-le, mouillé, de mes larmes d’enfant. Mangue embouchée par une garce, tétant l’eau claire aux lèvres frêles : tu lampes ce fruit où ta patience s’empreint. Mais ces bontés font qu’en larmes constantes se liquéfie ta Neige. Elle se consume en cendres, puis fond en eau sous toi : tu la fais crever, et toi seule, deux fois.
(P.43)
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Cependant, matin, nos croupes seront cendres. Tu peux bien, rose-flirt, broder ton suaire d’argent, sertir sur diadème épitaphes et sonnets : coquettes et viragos, à même et noire enseigne logées, nous guette, pour nous mêler, la tombe ; auront bientôt leur terme d’œillades, câlins-câlous. Tes vapeurs et leur voracité, tes nerfs, ton cul : tout trépassera. Qu’on m’offre ce sépulcre – loin sous terre. Et que je t’amignonne, peau rongée, jusqu’à la diane du bugle, où nous baiserons en goules pour le Juge Éternel.
(P. 53)
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Je te magnifierai, Maman, si tu me donnes la main – mais quel crime t’enseigne à m’offrir ces lèvres, à darder en alliance ta bouche de tribade ? j’y suce la fleur, moi, dans l’ellipse hortensia – roseurs d’ancolie où le monde brasille en camaïeu lippu ; l’aube, le crépuscule, crépitant de l’onagre, du sang réverbéré aux fibres de tendresse. Un rapt, une féerie, ventre mystique de la bourbe – toi, qui fut ma mère.
(P. 71)
Choix de Jean-Pascal Dubost en complément de sa lettre à Paloma Hermine Hidalgo