Pascal Commère, “Verger, etc…”, lu par Philippe Fumery


Dans “Verger, etc…”, Pascal Commère se fait le chroniqueur d’un verger et au delà. Philippe Fumery invite à le suivre.


 

Pascal Commère, “Verger, etc…”, monotypes de Joël Leick, Fata Morgana, 2022. 60 p., 14€



Dans son recueil « Verger, etc…», Pascal Commère, depuis sa fenêtre, se fait le chroniqueur d’un verger, lequel doit beaucoup à un gros prunier à la branche cassée, à une paire de moutons ni blancs ni paisibles, aux jours de neige qui font songer au travail de Dotremont. Un verger fort peu perturbé par le voisinage, même si celui-ci ramène par la bande l’humain, le village et son agitation.

« Le temps passe. Il en reste… », 17. C’est le lot du chroniqueur autant que sa matière première. « En somme je ne fais rien d’autre, assis à ma table devant la fenêtre, que regarder le verger », 29. Une phrase qui résumerait la situation privilégiée du chroniqueur, mais elle commence par un clin d’œil lancé à l’ancien cordonnier du village, qui mettait un « en somme par exemple » à tout bout de champ, et cela nous met sur nos gardes : le verger est un terrain d’observation, et sans doute de quelque chose plus grand que lui…
Le verger pourrait être le monde condensé et tout autant un monde interposé entre ici et là-bas, l’autre, le plus vaste. « Curieuse occupation que regarder le monde derrière une fenêtre. Le monde, je veux dire : le verger », 20. Pascal Commère semble hésiter entre condenser et déployer et, pour ne pas avoir à choisir, il déplace le propos et reprend un terme plus ancien, plus approprié, celui de « ouche », dont il donne la définition extraite d’un ouvrage de l’historien Marcel Lachiver.

Pascal Commère donne libre cours à son amour des termes ruraux tels « oumée », aux expressions populaires comme « le cul-fou », aux engins improbables tels la « Choillotte », aux usages probablement sans avenir, aux bruits si différents, aux gestes plus lents tels ceux de ces femmes : « Leurs mains assises sur leurs gestes », 20. Il se fait à l’occasion botaniste, amateur d’euphorbe, d’iris ou de lys ; entomologiste, observateur perspicace de la coccinelle ou de l’araignée. Il s’intéresse à la toponymie, ce qui nous vaut un savoureux détour par « un chemin qui s’appelle le Vénieux », 41.

Son recueil est aussi parcouru d’observations sur le vif, au fil de ses déplacements : les fermes, leur cour, leur lumière, leurs chiens ; au hasard de déviations somme toute bien nommées et bien tombées ; de rencontres avec les villageois ou les paysans ; de souvenirs de son enfance. Pascal Commère sait redonner leur place à toutes ces choses qu’il s’autorise avec le « etc… » du titre, il donne libre cours, et c’est heureux, suave et fluide. Son recueil est émaillé d’aphorismes. À chacun de les relever à son goût et selon son humeur.

Mais son domaine, celui de la poésie, ressurgit de page en page, par le biais d’annotations discrètes mais précises et fortes. Il revient à l’évocation d’André Frénaud, le bel habitant de ces contrées, dont il veut garder ce geste qu’il avait à leur première rencontre pour chasser les guêpes, la lumière prise dans les creux du visage, et qui lui demande d’assurer la relève.
Pascal Commère évoque la lecture, qui lui permet de s’approcher des auteurs pour mieux se mettre à distance, car il lui faut rester « un buissonnier » ; l’écriture, à commencer par la tenue sans doute nécessaire et quotidienne des carnets, ces « hospices de pauvres », 24. Tout le recueil est rythmé par sa vision du poème, de la poésie, avec ses exigences et ses bonheurs. Citer un extrait, dans un recueil constitué de paragraphes courts et a priori délimités comme des parcelles mises en culture ou en jachère, serait inapproprié : « J’aime que les notes sur la page dessinent une manière de jardin, avec ses raies, ses allées entre les planches », 42. La maraude n’est pas de mise. Tentons celui-ci, tant il est difficile de résister : « Ainsi du poème, au point de rencontre de l’émotion qui submerge et de la ligne claire à suivre », 31.

Au bout du compte, Pascal Commère sait bien que ce livre, comme sans doute d’autres parmi ses ouvrages, est une tentative, un recueil qui serait encore largement à écrire. L’envie revient à chaque automne, mais le titre ne varie pas : « Je me souviens de vous », 60.
Il n’a pas envie de « trancher » cette fois-ci, histoire de nous mettre en haleine. De toutes façons, il suffit de se laisser convaincre que : « Les vrais écrivains n’écrivent pas. Ils prennent l’air », 57. En reprenant la démarche à son compte, le lecteur s’approche plus aisément de l’œuvre de Pascal Commère, et redevient à son tour « buissonnier ».

Philippe Fumery

Pascal Commère, Verger, etc…, monotypes de Joël Leick, Fata Morgana, 2022. 60 p., 14€

NDLR :on peut lire aussi sur le site cette carte blanche à Philippe Fumery autour du travail de Pascal Commère et une note de Michaël Bishop sur Verger, etc… Ainsi que de substantiels extraits du livre parus dans l’anthologie permanente.