Guillaume Decourt, “Lundi propre”, lu par Jacques Morin


“Il faut d’abord s’attarder sur la forme, la métrique Decourt”, nous propose Jacques Morin dans cette note sur “Lundi propre”.



Guillaume Decourt, Lundi propre, La Table Ronde, 2023, 88 pages, 14 €.



Il faut d’abord s’attarder sur la forme, la métrique Decourt. Des dizains de décasyllabes rimés. Tout cela semble carré, à première vue. Mais avec une telle désinvolture que cette forme semble légère, presque imperceptible. On pense à William Cliff chez le même éditeur. Les rimes redoublent sans afféterie. Ça coule. Aucune ponctuation, les enjambements glissent. Majuscule en début de vers comme il se doit. Allez, cette coupure ostensible tout de même : …mour / Ir pour respecter le décompte des syllabes, et pour sourire un peu, et quelques assonances.
Chaque poème de dix vers donc, ce qui semble réduit, voire exigu, enferme de multiples choses. On est un peu partout dans le monde, en Grèce en particulier, seconde patrie de Guillaume Decourt. Mais aussi dans le bush australien, à Mayotte ou Ouvéa, le Colorado ou encore ailleurs, pour de vrai ou pour l’imagination.
Il y a souvent un caractère exotique dans cette localisation, accentué par la présence prégnante d’animaux : casoar, macaque, bonobo, guanaco… Et puis l’apparition fugace, l’irruption même, de personnages de toutes sortes, souvent nommés, comme si, lecteur, on les connaissait aussi. L’oncle Vassilis, le Dr Lukas, Patrick, Monsieur Sultan ou Evkodia… Puis d’autres personnes inventées, proches, familière ou fictives.
Le narrateur un peu dandy, un peu blasé regarde, amusé ou incrédule, les choses alentour. Tout est drôle, surprenant. On pense parfois à Apollinaire. Dans cet entrelacement d’éléments disparates, on a droit à quelques confidences
Je vis sans comprendre ce que je vis
ou la gratitude pour son cœur qui fait bien son office, la peur de vieillir, l’importance des jumeaux et du mauvais œil. Il y a beaucoup de charme dans cette poésie où l’inattendu croise sans cesse le banal et la versification douce de l’auteur lubrifie cette succession de moments. L’amour sans amour du tout me déçoit.

Jacques Morin

Guillaume Decourt, Lundi propre, La Table Ronde, 88 pages, 14 €.


Extrait  page 17

FOU

Il me semble que ce fut dès l’enfance
Que je décidai de devenir fou
Comme on peut décider de devenir
Médecin ou avocat j’eus la chance
De disposer d’un grand nombre d’atouts
J’avais un don je voulais réussir
J’ai joui bientôt de tous les privilèges
Qu’on attribue à cette condition
On me consultait sur la migration
Des oursins et sur l’odeur de la neige