Pascal Commère, “Verger, etc…”, lu par Michaël Bishop


Ce carnet-poème montre la pluralité de l’expérience de ce qui est et en même temps un chatoyant sentiment de présence-absence.


Pascal Commère, Verger, etc…, Fata Morgana, 2022, 63 p., 14€

La vie rurale, bourguignonne, rugueuse et pleine de grâce, captée si finement par les monotypes de Joël Leick dans ses silences, ses indicibles. L’etc du titre de ce carnet-poème n’est pas signe de pure désinvolture, mais confirme non seulement la pluralité de l’expérience mais aussi, malgré le geste qu’incarne le texte, la délicate distance entre la ‘feuille’ et soi-même (56), ce sentiment chatoyant de présence-absence au sein de tout faire, toute ‘communication’ (23), la conscience que ne cesse d’éprouver Pascal Commère de l’énigme de ‘ce qui est’ (14). Ce qui le pousse à écrire en ‘notes buissonnières’ (sous-titre du poème-carnet), flashes de longueur spontanément variée, loin de toute caresse esthétisante, visiblement intellectualisante, précieuse, prétentieuse. Comprenant pourtant la pleine prégnance du moment retenu, du fragment inscrit, de chaque mot, même – comme ces vieux termes, si riches, si ancrés, ouche ou oumée ou choillot. Écrire, ce serait pourtant surtout reconnaître, ‘honorer’ (23) le fugace, l’élémentaire, l’ontique dans toute sa mouvante étrangeté en train de se former; ce serait, comme un Brodsky, ‘regarder le monde derrière une fenêtre’ (20) – et un verger est largement suffisant pour constituer ce monde –, tout en gribouillant en même temps cette ‘lettre à soi-même’ (16), commémorant, remerciant ainsi simultanément la si mortelle energeia qu’on est au sein de ce tout. Le poème, un avec, comme dirait Jean-Luc Nancy, Michel Deguy également, allant dans les deux sens, dans tous les sens qui surgissent, en effet, sans prescription, ‘sans carte’ (15) et sans conclusion (60).

L’œil domine, celui de la mémoire aussi ; et hétéroclite, bigarrée en est la moisson : les oiseaux du verger, les tournesols, les brumes, l’herbe, la lumière, le noir nocturne, les animaux, la viorne, le ruisseau, l’araignée, les rapports au village, à l’église, à l’école, aux voisins, à la mort également comme à une implacable continuité, le microscopique et la vastitude de l’espace qui s’avère horizontal et vertical non seulement matériellement, mais spirituellement au sens large du terme. Et le tout pris dans les spirales des heures intimement vécues, celles des étés infinis et celles des longues et profondes neiges, radicalement transformatrices pour l’œil comme pour l’âme. De telles notes, inscrites spontanément, constituant ‘sa poésie’, une ‘réussite’ au-delà de toute considération externe, tout critère venant de ses lecteurs ou lectrices (35), ‘hospice de pauvres’, Commère les appellera (24). Mais cet hospice rassemble et accueille une étonnante immensité qui fusionne, malgré le sentiment d’un non-savoir, d’un ‘intouchable’ de tous les phénomènes évoqués, poète et poème (32), et ainsi, magnétisant aussi les choses en dépit de leur fuite, leur inaccessibilité, leur troublant ‘pourquoi’ (50), leur offrant leur moment, leur lieu d’accueil et, qui sait, d’adieu, dans l’acte même de leur convergence, leur jonction – cet hospice finit par devenir un espace de tendresse, aucunement sentimental, insistera Commère, caressant dans les vieux bras fragiles de son poïein caritatif tous les contrastes, joies et souffrances, beautés et rudesses, d’une vie vécue, jamais glorifiée, jamais méprisée, mais surtout saluée comme site inlassablement énergisé, mouvant, à bien des égards curieusement insituable d’un être-au-monde donné et en perpétuel devenir, respecté, admirablement fourni et provocateur dans les questions qu’elle ne cesse de soulever.

Un livre qui, dans sa différence, sa liberté assumée, son ouverture et son étreinte des choses qui sont, ‘assure la relève’, comme le voulait André Frénaud (39). Une belle ‘visitation’, aurait ajouté celui-ci, peut-être.

Michaël Bishop

Pascal Commère, Verger, etc…, Fata Morgana, 2022, 63 p., 14€


Extrait de Verger, etc… (49-50) :

Le lac a frémi. Comme si quelque chose ou quelqu’un l’haranguait du bout de son bâton, ainsi qu’on fait avec les bêtes. Lui s’exécute, en vaguelettes. Vers midi, le soleil allume sa lampe de poche sur les rochers de l’une des rives, cependant que l’autre reste dans l’ombre, appuyée aux arbres.

Mais le niveau de l’eau a baissé. Au Moulin de la Ronce, on traverse à pied sec sur ce qu’il reste du parapet de l’ancien pont.

Une bien pauvre maison que celle de A., sans grande lumière, comme celles où les maîtres logeaient leurs commis.

Talus en fête. La viorne, ses chignons clairs dans le soleil. La brume, à peine posée. Comme si un feu, sa fumée dissipée, refusait de brûler quelque part. ou plutôt comme si, toujours, passé la ferme de Cromot, une femme en tricot rose faisait signe.

Un feu qui claire, disaient-ils. Avec raison, sans pourtant le savoir.

Souffre-douleur, qu’ajouter de plus.

Après-midi d’automne. Les murs, les pancartes des villages, les peupliers, les noyers en bord de route… L’envie de s’arrêter devant chaque chose, de demander pourquoi.

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