Franz Josef Czernin, traductions inédites de Jean-René Lassalle


Dans ce tout nouveau dossier, Jean René Lassalle revient sur un auteur qu’il traduit et connait bien, Franz Josef Czernin



Le poète expérimental autrichien Franz Josef Czernin crée une poésie complexe avec un acharnement métaphysique qui se base parfois sur des œuvres emblématiques (Shakespeare, Dante) et les prolonge, défigure, « métamorphose » en variations sur d’éternelles préoccupations humaines (vie et mort, amour et solitude, extase et pensée). Le langage y est surchargé polysémiquement par torsions d’idiomatismes, néologismes et quasi-calembours, permutations d’affixes, flous syntaxiques, élisions des pronoms, répétitions de mots et obsessions. L’étrangeté est déstabilisante mais la quête d’humanité à travers le langage et ce qu’en fit l’histoire de la poésie me semble au final émouvante.
Dans son livre reisen, auch winterlich (« voyager, aussi par l’hiver »), Czernin aborde le beau et mélancolique cycle Winterreise du romantique « mineur » Wilhelm Müller magnifiquement mis en lieder par Franz Schubert. Chaque poème place donc en exergue un ou deux vers du « Voyage d’hiver » et s’en inspire lointainement pour une errance langagière constructiviste où le je fait face à un tu qui pourrait être amante, divinité, langue, poésie.
Un livre de Franz Josef Czernin est traduit en français, chez Grèges en 2011 : Le Labyrinthe d’abord invente le fil rouge.





Où trouverai-je l’herbe verte ?
Elles ont passé ces fleurs



du haut des cieux semble se souffler, à contre
sens ventant chemins inverses ;
écorchant à tempêter malséant
m’as-tu jeté, vif plein visage re

foulant au tant ; en tournecoeur
vite assaillant, gémis quelques bribes,
plutôt briques, des pieds à tête
déchiquètes, en miettes glacées m’aveuglant.

un jour moquant dégel de neige et
de paroles nous promettant, bien en joué pour
tant à pas gourds mor
celée l’allégresse ; printanant papillonnant

alerte m’insufflas floriant sans froid
aux yeux, déchausse claquant chaud
de talons s’éperdant ; mais débalancé
déjà durement dolent nous dé

clare fichus, plus jamais se déverse
cloche, tonne : glacéclatés en fleurs
de givre intimement nous manquâmes.

Source : Franz Josef Czernin : reisen, auch winterlich, Hanser 2019. Traduit de l’allemand (autrichien) par Jean-René Lassalle


Wo find’ ich grünes Gras ?
Die Blumen sind erstorben


wie himmelher dies anweht, wider-
sinnig gegenwege windend;
sehr rau mich, ungehörig sausen
liesst, harsch ins gesicht dies schlägt,

derart mich aus; im herzumdrehn
rasch übergreifend, bliest dicht körner,
ja hart brocken, haar- und haut-
zerreist, mich erzkalt staubstellst, -blind.

einst scherzensreich uns schnee- und stimmen-
schmelz verhiesst, als froh gelockt und
doch auf tauben-, flockenfüssen
schwärmte; früh- und schmetterlings

geschwind mir blütenschneitest, un-
verfroren, ohne socken, fersen-
warm ausschweifend; doch verschaukelt
längst, schlimm schmerzgetrieben, uns

verlorengebe, nimmer brausen
glocken, sturm; eiskrumenstarr
und -stern uns innig unterblieben.

Source : Franz Josef Czernin : reisen, auch winterlich, Hanser 2019.


*


Mais aux vitres des croisées
Qui donc cisela ces feuilles ?


telle une lumière sur fenêtre nous apparut
quand se trace ligne de train glacée.
dans la ténèbre le cercle est nié,
lors nous advient une douleur pure,
arc de haut vol souffle masse de blanc.

les piliers furtifs sont noyés de neige,
tout tourne autour de vitres aveugles.
à mon cœur d’airain reluit cette aire
où visage en étoile fixe se grave,
désolamment étranger, facétie gâchée.

le ferreux étant depuis longtemps arrivé,
sur sa voie libre bien solitaire,
vitreux sur quai désaffecté.

Source : Franz Josef Czernin : reisen, auch winterlich, Hanser 2019. Traduit de l’allemand (autrichien) par Jean-René Lassalle


Doch an den Fensterscheiben,
Wer mahlte die Blätter da?


wie licht im fenster uns erschienen,
als eisig bahn gezogen bleibt.
im finstern wird der kreis bestritten,
uns widerfährt der reine schmerz,
in hohem bogen weht viel weiss.

die schnellen pfeiler sind verschneit,
viel dreht um blinde scheiben sich.
mir erzhart manche stelle gleisst,
da sichs gesicht so starr geschnitten,
unleidlich fremd, verscherzter weise.

längst war eisern eingetroffen,
auf freier strecke ganz allein,
gläsern auf dem toten gleis.

Source : Franz Josef Czernin : reisen, auch winterlich, Hanser 2019.


*


Celle derrière glace et nuit et affre


obscur sans lieu, établi à mi
chemin de royaume d’ombres et de cieux,
où feufollettant me cadences puis contre
danses sauvagement dé rangée ;

dont chaque moindre lueur sous et sur
charge, multi-errance d’astre
brillamment me piège, peu fixée
tu tordis cette malvolupté en

cercle ; constantes fuites et
invites, fugacement submergés,
survolés, entrecroix, travers
de trombe en désesprit, frémis de voix

profondes, déchiriant nous effondres ;
mais se raccouple ce trouble, quand
contrant dérésonnant je fulgurai
nuiteux pré- ou rétrocédant te

galevaudant, floconnement trans cris
et glace ; me renvoyant noircissant
arraches à la ronde foudroyant
à fond : dans cette noirceur altirageons.

Source : Franz Josef Czernin : reisen, auch winterlich, Hanser 2019. Traduit de l’allemand (autrichien) par Jean-René Lassalle


Die hinter Eis und Nacht und Graus


dunkel ortlos, hergezogen,
halbwegs himmel-, schattenreich,
da mir irrlichternd weiter vor- und
nachtanzst, ferner wild aus reihen;

jeder schimmer davon unter-,
übergang, viel sternumschweifen
hellauf lockt mich, kaum gehörig
hattest dies arglüstern in den

kreis gebogen; stets fortlaute,
-laufe, flüchtig unterwandert,
überflogen, kreuz hier, quer
umgeisternd wirbel, stimmen schauerst

gründlich, glanzwund reisst zu boden;
wirr dies wiederpaart, da mich
dagegen fehl verhallte, sprunghaft
immer vor-, nachtfahrend dich

verschreiend, flockendicht durch weh
und eis; mich grabenschwarz verweist,
schmeisst aus der runde unversehens
ganz: in finstern sind, höchstoben.


Source : Franz Josef Czernin : reisen, auch winterlich, Hanser 2019.


Franz Josef Czernin dans Poezibao :  bio-bibliographie, ext. 1 , ext. 2 , ext. 3, (Anthologie permanente) Franz Josef Czernin, La Clef d‘or et autres métamorphoses

dossier proposé parJean-René Lassalle, choix des textes, présentation du poète et traductions inédites.