Trois poèmes d’Elizabeth Willis, traductions inédites de Jean-René Lassalle

Un nouveau dossier de traductions inédites proposé par Jean-René Lassalle. Il s’agit ici de poèmes de l’Américaine Elizabeth Willis.

Poezibao profite de cette publication pour remercier chaleureusement Jean-René Lassalle de sa fidélité et de la qualité de ses dossiers. Cela fait des années qu’il permet aux lecteurs du site des découvertes passionnantes.



La similitude de cette grande fleur

Ces vignes sont bien taillées, je les renverse. J’ai les traits de ma mère dans mon cœur, la gemme la plus sombre, errant dans le goudron, une affinité avec l’Islande. Le monde cliquète : nom, nom, nom. Sable en chaussure ne fait pas de toi une huître. Cette rivière s’écoule constamment. « La similitude de cette grande fleur », son violent prestige. Abandonne tes intérêts quand la clarté lunaire vire le soleil. Le chien est-il sous verre ou vitré ? La voix du paradis a un enfer derrière. J’observe la fleur du mal, mouche dans la serrure qui tente de déchiffrer le mur. Celui-ci dit que nous ne sommes pas morts malgré le froid, il vend sueur et rire de la chambre verte. Il fait brumeux dans le rêve. Dit que tu as promis de continuer.

Source : Elizabeth Willis : Meteoric flowers, Wesleyan University Press 2006. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.


The Similitude of This Great Flower

These vines are trim, I take them down. I have my mother’s features in my heart, the darkest gem, tripping in the tar, an affinity for Iceland. The world is clanking: noun, noun, noun. Sand in the shoe doesn’t make you an oyster. This river runs constantly. “The similitude of this great flower,” its violent fame. Forfeit your interests while moonlight chucks the sun. Is the dog behind glass, glassed in? Heaven’s voice has hell behind it. I’m looking at the evil flower, a fly in the keyhole trying to read the wall. It says we haven’t died despite the cold, it sells the green room’s sweat and laughter. It’s misty in the dream. It says you promised to go on.

Source : Elizabeth Willis : Meteoric flowers, Wesleyan University Press 2006.

Trois pommes, deux châtaignes, bol et gobelet d’argent ; ou : Le Gobelet d’argent (d’après Chardin)
Comme dans l’obscurément ouverte science du premier plan, reposant docilement comme sur de l’air ; le repos nous y prenons place. Échangeons place avec les châtaignes, une manière de leur magnétisme, en réflexion dans la pièce ; ou sur l’obscurité coutumière, d’un brun aristocratique, avec des choses traquées, nous venons nous reposer parmi elles. La pièce peinte, enfermée dans une manière de gentillesse. Nous réfléchissons sur cette habitude adorable de ce lièvre avec qui nous sommes, dans l’habituation à cette image, qui induit une capture. Pour cacher les vertus d’un bond sans limites, considérons la réflexion dans la châtaigne. Comme si le peintre se dessinait en Faucheuse dans la nature morte ; comme possédant une tranquillité sculpturale, des virgules dans l’obscur. Une figure de nous-mêmes réfléchie ou une manière d’image reposant ; docilement en air, enfermement dans une forme de capture.

Source : Elizabeth Willis : Turneresque, Burning Deck 2003. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.


Three Apples, Two Chestnuts, Bowl, and Silver Goblet; or, the Silver Goblet
after ChardinAs in the darkly open science of the foreground, sheepishly at rest as upon air; the rest we stand in. We stand in for the chestnuts, a type of their magnetism, reflecting on the room; or upon the average darkness, aristocratic brown, with hunted things; we come to rest among them. The painted room, locked in a type of kindness. We reflect upon this lovely habit of this hare with whom we are, in the habit of this picture, getting caught. To hide the virtues of a boundless leaping, we regard reflection in the chestnut. As if the painter drew himself as Death into the still life; as of a sculptural stillness, commas in the dark. A figure of ourselves reflected or a type of picture resting; sheepishly as air, locked in a form of capture.

Source : Elizabeth Willis : Turneresque, Burning Deck 2003.

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L’arbre de l’effort personnel

L’autoroute perdue de l’ornementation s’évanouit vers l’origine. Des bateaux naufragés retournent à leurs constructeurs comme des aimants. Dans l’arbre de l’effort personnel se loge une montgolfière ou bien les branches sont corbeillées. Qu’avons-nous pensé que nous osions quitter voguant : un livre non-lu, une aspirine ? Mon corps savait que j’étais ancrée à la terre par la chair. Construis une plus grande soufflerie si tu veux t’élever au-dessus de ta vie. Ainsi soupire le nuage-mot du pilote. Pour impliquer ou entonner l’entière possibilité du soleil humain. La rose s’éleva défroissée dans le printemps. Une libellule sur ta main pour toute chance.

Source : Elizabeth Willis : Meteoric flowers, Wesleyan University Press 2006. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.


The Tree of Personal Effort
The lost highway of ornament fades into origin. Shipwrecks return like magnets to their builders. In the tree of personal effort, a balloon is lodged or branches are basketed. What did we think we dared to sail away from, an unread book, an aspirin? My body knew I was anchored to earth with flesh. Build a bigger bellows if you want to rise above your life. So sighs the pilot’s cloud of word. To imply or intone the whole possibility of human sun. The rose rose unknit with spring. A dragonfly in your hand for luck.

Source : Elizabeth Willis : Meteoric flowers, Wesleyan University Press 2006. 

Elizabeth Willis
Elizabeth Willis est une poète états-unienne née en 1961 au Bahreïn qui a enseigné à l’université d’Iowa. Une anthologie de ses poèmes a été dans les finalistes de l’important prix littéraire Pulitzer. Elle compose surtout des poèmes en prose courts et elliptiques avec des métaphores polysémiques et quelques répétitions en échos. Plusieurs poèmes décrivent des peintures classiques (Chardin, Turner, Constable) en analysant les processus de perception et création artistiques. Un « je » lyrique se dégage oblique et discret, en relation avec la nature vivante qui l’entoure. Le poème est pour elle « une réinvention sonore du monde dans lequel il est produit ».  Elizabeth Willis a aussi édité un volume d’essais sur la poète « objectiviste » Lorine Niedecker. Elle a été invitée en 2007 par Double Change pour une lecture à Paris.

Bibliographie sélective :
Second Law, Avenue B, 1993
The Human Abstract, Penguin 1995
Turneresque, Burning Deck 2003
Meteoric Flowers, Wesleyan University 2006
Address, Wesleyan University 2011
Alive, New York Review Books 2015 (anthologie)

Traduction en français :
. Un cycle dans l’anthologie Format Américain, traduit par Juliette Valéry, chez L’Attente, 2021
. Une plaquette Fleurs météoriques, en traduction collective aux éditions du Centre International de Poésie de Marseille (CIPM) en 2009


Sitographie :
. Photo, biobibliographie et poèmes sur le site du magazine Poetry
. Ecouter Elizabeth Willis lire en anglais « La Similitude de cette grande fleur » traduit dans notre dossier

. Entretien en anglais dans la revue Gulf Coast


Dossier préparé et traduit par Jean-René Lassalle.