Traductions inédites de Lisa Jarnot, un dossier de Jean-René Lassalle


Un nouveau dossier de traductions inédites et de présentation du travail de la poète américaine Lisa Jarnot par Jean-René Lassalle.



Rose Marc-Aurèle

Des cinq bons empereurs
j’ai appris qu’il y avait cinq bons empereurs,

Du citronnier que j’ai planté
je connais que les feuilles non-battues tombent pourtant

De l’horloge : le temps, il est cinq heures de l’après-midi,
du soleil la longueur du jour,

Du quercus borealis, quelques étranges noms de feuilles
dans tous les arbres,

De ce qui brûle j’ai appris à brûler,
de la famille des asters la chicorée abonde,

De l’épervière, sur les vives couleurs,
du sommeil, sur mes rêves,

Des moustiques, le grattage, des poissons, la pêche,
des dindons comment courir et sautiller,

Des vivaces érigées je sais atteindre l’étagère,
de mes chats, lécher l’intérieur sombre d’une boîte en métal,

Des moineaux, ceci cela j’ai appris,
des tribus germaniques, à rassembler les pensées en troupeaux,

Et des persiennes, du soleil décomposé,
du cœur : une débordante collecte, braisée, retournée.

Source : Lisa Jarnot, site de la revue Poetry, 2008. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle


Marcus Aurelius Rose

From the five good emperors
I have learned that there were five good emperors,
 
From the lemon tree I’ve planted
now I know that leaves unpummeled yet will drop,
 
From the clock, the time, it’s five p.m.,
from the sun the length of day,
 
From Quercus borealis, the queer names of the leaves
of all the trees,
 
From burning I’ve learned burning,
from the aster family chickory abounds,
 
From hawkweed of the colors bright,
from sleeping, of my dreams,
 
From mosquitoes, scratching, from fishes, fishing,
from turkeys how to run and how to hop,
 
From erect perennials I’ve learned to reach the shelf,
from my cats to lick the dark part of the tin,
 
From the sparrows I’ve learned this and that,
from Germanic tribes, to gather thoughts in herds,
 
From the window blinds, from the sun decayed,
from the heart, a brimming record braised and turned.

Source : Lisa Jarnot, site de la revue Poetry, 2008.

*

Sonnet un du mari

o calme brebis dans les champs endormie

sois tranquille pendant que dort mon mari

monte sur des vélos ou ta jeep bien conduis

aux pâturages où la neige s’approfondit

les routes courbes n’y prête attention point

ni ne t’étonne du voisin accélérant

nenni ne considère la triste fourche du chemin

plutôt continue brave et obscure traçant

comme Dante dans sa forêt de mi-vie

forte et bonne est la mi-vie d’une brebis

comme une bière qui s’ambre à la pression

ou un résineux vin d’érable en libation

toi brebis de silence va donc gambadant

dans les rêves où mon mari demeure dormant

Source : Lisa Jarnot, anthologie Postmodern American Poetry, Norton 2008. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle


Husband Sonnet One

o calm sheep in the fields asleep
be quiet while my husband sleeps
ride bicycles or drive your jeeps
in pastures where the snow is deep
the roads that bend o pay no heed
nor wonder where the neighbor speeds
nor ponder at the road’s sad fork
just plow on forward brave and dark
like Dante in his mid-life’s wood,
a sheep’s mid-life is stout and good
like beer that ambers from a tap
or maple running wine tree sap
you sheep of silence play along
in dreams my husband sleeps among

Source : Lisa Jarnot, anthologie Postmodern American Poetry, Norton 2008.

*

Angles de gang

comme un âge
un âgé guéage

comme un daim vert
graine et éden

comme un tailladé
jargon d’attirail à daim

et comme des gangs de grange
gagent des édens à grains

chemins et jardins
chemins et grange

à angles, anges,
guenilles graisseuses, sauge

aux gués âgés
une grange d’aigle,

un fermage de daim vert
chemin de sauge à grains.

Source : Lisa Jarnot, anthologie Postmodern American Poetry, Norton 2008. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle


Gang Angles

as an age
an agéd glade

as a green deer
seed and eden

as a ragged
deer gear slang

and as grange gangs
lease seed edens

lanes and gardens
lanes and grange

angles, angels
grease rags, sage

agéd glades
an eagle grange,

a green deer land lease
seed sage lane.


Source : Lisa Jarnot, anthologie Postmodern American Poetry, Norton 2008.

*

Poème débutant par une ligne de Frank Lima

Et comme c’est fantastique d’écrire un poème radiophonique
et comme c’est fantastique d’être debout sur le toit à
regarder les étoiles passer et comme c’est fantastique d’être
égaré dans un couloir, et comme c’est fantastique
d’être le couloir tel qu’il s’inscrit dans la maison,
et comme c’est fantastique, modelé en téléphone,
d’être empli de whisky en se distinguant dans la rue,
et comme c’est fantastique de discerner les étoiles à l’intérieur des radios
et des vaches, et comme les vaches sont fantastiques qui traversent
la nuit, à leur manière ingénue, se déplaçant
dans la clarté lunaire, et comme la nuit est fantastique,
pourvoyeuse de cloches et distantes planètes, et comme
c’est fantastique d’écrire ce poème en dormant, de dormir
sur des planètes distantes en ma pensée, et pendant la nuit de croiser
les vaches dans des couloirs chevauchant des étoiles vers des radios la nuit et
comme tu es fantastique ô nuit, par-dessus les ponts t’engouffrant
dans les tunnels, dans des bars, et comme c’est fantastique que tu sois
aussi ceci : les champs d’une attraction planétaire, fantastique, vivant
sur l’Hudson, au sein des mois du printemps, une
traversée sous-marine pour les vaches dans les rêves, fantastique,
comme les radios, les chansons, le poème, les étoiles.

Source : Lisa Jarnot : Ring of Fire,  Zoland 2001. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle


Poem Beginning with a Line by Frank Lima

And how terrific it is to write a radio poem
and how terrific it is to stand on the roof and
watch the stars go by and how terrific it is to be
misled inside a hallway, and how terrific it is
to be the hallway as it stands inside the house,
and how terrific it is, shaped like a telephone,
to be filled with scotch and stand out on the street,
and how terrific it is to see the stars inside the radios
and cows, and how terrific the cows are, crossing
at night, in their unjaundiced way and moving
through the moonlight, and how terrific the night is,
purveyor of the bells and distant planets, and how
terrific it is to write this poem as I sleep, to sleep
in distant planets in my mind and cross at night the
cows in hallways riding stars to radios at night, and
how terrific night you are, across the bridges, into
tunnels, into bars, and how terrific it is that you are
this too, the fields of planetary pull, terrific, living
on the Hudson, inside the months of spring, an
underwater crossing for the cows in dreams, terrific,
like the radios, the songs, the poem and the stars.

Source : Lisa Jarnot : Ring of Fire,  Zoland 2001.




Lisa Jarnot est une poète états-unienne de New York née en 1967. Après avoir étudié avec le poète Robert Creeley, elle a travaillé au Poetry Project de St Mark’s Church et enseigné dans plusieurs universités (Bard, Naropa). Sa poésie est souvent mue par des répétitions en litanies, et collagée de mots qu’elle dit trouver sur des papiers qu’elle ramasse dans la rue. La revue Jacket2 note en plus une impression lancinante de drame, tandis que le critique Paul Hoover retrouve une influence des poètes métaphysiques baroques au sein de son expérimentation moderniste. Lisa Jarnot a aussi écrit une biographie du poète Robert Duncan. Elle est en plus activiste anti-guerre et horticultrice.

Bibliographie sélective 
Some Other Kind of Mission, Burning Deck, 1996.
Ring of Fire, Zoland Books, 2001.
Black Dog Songs, Flood Editions, 2003.
Night Scenes, Flood Editions, 2008.
Robert Duncan, The Ambassador from Venus, University of California Press, 2012 (essai)
Joie de Vivre, City Lights, 2013 (anthologie)
A Princess Magic Presto Spell, Flood, 2019 

Traduction en français 
Trois plaquettes :
Libretto marin, Un Bureau sur l’Atlantique 2000, traduit par Juliette Valéry
Chansons du chien noir, Un Bureau sur l’Atlantique 2004, traduction collective à la Fondation Royaumont
Journal d’un ange sadomaso, Contrat Main 2011, traduit par Marie Borel et Pascal Poyet
Et dans la belle anthologie :
Format Américain, éditée par Juliette Valéry, Editions de L’Attente, 2021

Sitographie
Écouter Lisa Jarnot dire « Marcus Aurelius Rose »: cliquer sur le triangle rouge près du titre, puis sur le mini-lecteur mp3 qui apparaît.

Lire un entretien en anglais avec Lisa Jarnot .

Regarder une vidéo d’une minute de Lisa Jarnot lisant un de ses poèmes au 75è anniversaire du Black Mountain College.