Jean-René Lassalle propose aux lecteurs de ce numéro 4, un second dossier de traductions, consacré au poète nigérian Logan February.
Corps solitaires
Un héron se dépose sur la terre,
devient brume. Un homme qui désire
m’aimer sans amour
s’allonge près de moi & cite
son grand-père : un corps est pas bois à brûler,
signifiant qu’il se sent seul
et humain ; signifiant que jamais
il n’a vu un corps se tordre en un cri
& en épaisse fumée, le bois nu implacablement se flétrir.
Il appelle mon nom dans une manière
de langue des signes & je ne peux voir ses mains,
ne comprends ce qu’il veut dire.
Je cherche à savoir si la brume empêche un objet fané
de s’enflammer autant
qu’elle voile la vue. Je me demande s’il réalise
que mes os sont glacés, que suis déshydraté &
comment je peux demeurer, car les choses délicates flétrissent.
Un oiseau différent se propulse depuis
le ciel, me ramène à mon corps. Et je ne sais
quels noms il va m’appliquer. Je le nomme nuage –
car il est sans pensée comme chaque nuage
qui me laisse le quitter. Je deviens
moi-même brouillard & puis je disparais.
Source : Logan February : Mental Voodoo, Engeler 2024. Traduit de l’anglais (Nigéria) par Jean-René Lassalle.
Lonesome bodies
A heron alights itself on the ground,
becomes fog. A man who wants
to love me without loving me
lays himself besides me & quotes
his grandfather, says body no be firewood,
which is to say he is feeling lonely
and human; which is to say he has never
seen a body contort into scream
& thick smoke, the merciless curl of naked wood.
He’s calling my name in some kind
of sign language & I cannot see his hands,
do not know what he means.
I wonder if fog prevents a withered thing from
catching fire in the same way
it prevents sight. I wonder if he knows
how cold my bones are, how dehydrated &
how I stay because curling is for delicate things.
A different kind of bird is throwing itself from
the sky, bringing me to my body. I do not know
what names he has for me. I am calling him a cloud –
he is clueless as every cloud is
letting me let go of him. I become
a fog, too & then I fade away.
Source : Logan February : Mental Voodoo, Engeler 2024.
*
Thorax 2
Je chante à la Mort pour l’éloigner :
Ìbèrè ni mowà / Ikú ré kojá / Ìbèrè ni mowà
(Je me tapis / Mort, évite-moi / Je me tapis).
Non attends, ne me quitte pas. J’ai peur
de la lumière, des oiseaux chanteurs solitaires, des roses.
Je chante à la Mort pour qu’elle s’approche,
mais à distance. Je cherche seulement quelqu’un
qui m’embrasse & vienne voir Panthère Noire avec moi.
Ne complexifions pas ceci par nos membres.
Dieu, ne sais-tu pas comme cela brûle dans cette vie ?
Je chante à Dieu pour qu’il envoie la pluie sans tuer :
pas même une guêpe, et pas mon père,
ni la vigne qui grimpe au balcon.
Il y a des myriades & myriades de ciels ;
s’il te plaît ne ruine rien cette fois.
Une rose survit à l’inondation &
soudain Dieu redevient innocent.
Source : Logan February : Mental Voodoo, Engeler 2024. Traduit de l’anglais (Nigéria) par Jean-René Lassalle.
Thorax 2
I sing for Death to keep his distance –
Ìbèrè ni mo wà / Ikú ré kojá / Ìbèrè ni mo wà
I crouch down. Death pass over me. I crouch down.
No, wait! Don’t leave me. I am afraid
of the light, the lonely songbirds, the roses.
I sing for Death to come close,
but not too close. I’m only looking for someone
to kiss & go see Black Panther with.
Let’s not complicate this with limbs.
God, do you not know how hot it is in this life?
I sing for God to send rain but kill nothing:
not a wasp, not my father,
not the creeping vine on the balcony.
There are miles & miles of sky;
please don’t fuck this up.
A rose survives the flood &
suddenly God is innocent again.
Source : Logan February : Mental Voodoo, Engeler 2024.
*
Parlant des garçons avec ma mère
Osun, douce mère des eaux plus douces
où est ton miroir, ta lame dorée
ruisselante de miel ? Je voudrais tuer un homme
avec l’or de ma tristesse, souligner
de son sang mes yeux vengeurs, et dire :
je suis un jeune dieu. Car celui que j’aime
me maltraite. Il capte mon désir
sur son doigt pour le conserver l’enfermer.
Mon fiancé, mon prince couronné d’or.
Je l’ai enroyaumé autour de mon cou
et supplié : jamais ne me quitte. Esseulé,
je sombre dans mon reflet. Avec lui
je pourrais être reine, son épouse.
Et brader ses bijoux régaliens contre de multicolores
plumes à porter dans ma chevelure.
C’est pour des choses simples que je languis.
Je désirais une boîte d’éternité non-ouverte
et beaucoup de gentils enfants autant qu’en contient le regard.
Mon cœur est si dément – un jour j’ai rêvé
que je n’avais pas d’yeux. Tout devenait délicieux
en pépiement de moineau, même la meute derrière ma porte.
Mon aimé m’offrait un chant de fumée,
fumée bleue qui était si belle
que je commençai à mourir. Pour protéger
la trajectoire de mon rêve je m’éveillai à la brune
chaleur de son corps ornementant mon lit.
Telle une déesse je rampai vers lui l’embrassant :
ranime-toi à moi, adoré. Par raison d’amour
la douloureuse faute est pardonnée. Ma prière
a étanché l’amplitude de ma soif.
Source : Logan February : Mental Voodoo, Engeler 2024. Traduit de l’anglais (Nigéria) par Jean-René Lassalle.
Talking to Mama about boys
Osun, sweet mother of sweeter waters,
where is your mirror, your gilded blade
with dripping honey? I want to kill a man
with my golden sadness, line
my vengeful eyes with his blood and say
I am a young god. Because the one I love
is wronging me. Because he wears
my desire on his finger to save and to keep.
My bridegroom, my goldcrowned prince.
I kingdomed him around my neck
and begged: never leave me. Alone,
I drown in my reflection. With him
I would be a queen, a consort.
trade his regal jewelry for colorful
feathers to wear in my hair.
I’m greedy for the simple things.
I wanted an unopened box of eternity,
lovely children as far as the eye could see.
I have such a crazy heart – once, I dreamed
I had no eyes. Everything was delectable
sparrowsong, even the mob beyond my door.
My beloved sang to me of smoke
and blue smoke, it was so beautiful
I started to die. For the sake of
my dream’s trajectory, I woke to the brown
warmth of his body adorning my bed.
Like a goddess I crept close, kissed him:
awake to me, my love. Because of love,
the painful flaw is forgiven. Because I prayed,
the radius of my thirst grew smaller.
Source : Logan February : Mental Voodoo, Engeler 2024.
Logan February est un poète du Nigéria né en 1999 qui a étudié à l’université d’Ibadan. Il écrit dans la langue officielle, l’anglais, avec parfois quelques mots yoruba de sa langue maternelle. Il est non-binaire et activiste de la communauté LGBT. Le Nigéria a un gouvernement élu (après une période de junte), la mégapole Lagos recèle grandes richesse et pauvreté, et la communauté homosexuelle est discriminée ou quelques fois agressée. Et cependant cet immense pays africain multiculturel a un potentiel progressiste, patrie du musicien engagé Fela Kuti, de l’écrivain critique Chinua Achebe, du Nobel Wole Soyinka, et de la jeune intellectuelle féministe Chimamanda Adichié. Logan February est reconnu en Afrique comme un des écrivains prometteurs du continent. Il se produit aussi avec des musiciens nigérians. Il est traduit et édité aux Etats-Unis, en Espagne et en Allemagne. Après une invitation pour un échange culturel à Berlin une anthologie de ses poèmes sort en bilingue anglais/allemand en 2024.
Bibliographie sélective :
How to Cook a Ghost, USA 2017
Painted Blue with Saltwater, USA 2018
In the Nude, Ouida Poetry (Nigéria) 2019
Mental Voodoo, Engeler (Suisse) 2024
Sitographie
Entretien en anglais avec Logan February, à lire dans le magazine Guardian Life du Nigéria
Vidéo de 3 minutes au festival international de poésie de Lagos : Logan February y lit d’abord son poème « Thorax » dont la partie centrale est traduite ici