Helga M. Novak, poèmes, traductions inédites et dossier de Jean-René Lassalle (III, 6, traductions)


Jean-René Lassalle nous introduit, dans un de ses beaux dossiers de traduction, à la poésie de l’Allemande Helga M. Novak.


 

toujours dehors 1

toujours dehors dans la forêt à fuir courir après images après désirs joué aux indiens dans de vrais mocassins tirés d’un ravitaillement CARE par Tante Véra miel chewing-gum pois gourmands toujours en hordes de vingt gonflé des grenouilles brins de paille autres pailles dedans puis souffler ensuite sculpter des pipes feuilles de chênes déchiquetées bourrant leurs têtes signaux de fumée et on lit à voix haute (La Vengeance du Kabunauri) encore que dans ma bouche le zézaiement surgit et s’amplifie sauf quand je crie alors lire en criant

Source : Helga M. Novak : Wo ich jetzt bin. Schöffling & Co., 2005. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.

immer draußen 1

immer draußen im Wald auf der Flucht hinter Bildern her hinter Wünschen Indianer gespielt in echten Mokassins aus dem Care-Paket von Tante Vera Honig Kaugummi Zuckererbsen immer in Rudeln von zwanzig Frösche aufgeblasen Strohhalme andere Halme rein und pusten dann Pfeifen schnitzen und zerkleinerte Eichenblätter in die Köpfe Rauchzeichen und einer liest vor (Die Rache des Kabunauri) obgleich in meinem Mund das Lispeln aufläuft und sich steigert außer beim Schreien also schreiend vorlesen

Source : Helga M. Novak : Wo ich jetzt bin. Schöffling & Co., 2005.

***

Suite d’époques

hier autant que je m’en souvienne
une période en fleurs de châtaigniers et cartouches
personne ne me trouvait
deux fois au même endroit
comme devant la supérette Delta à Königshofen
la vagabonde dont les gendarmes
ont retourné les poches pour ne rien découvrir
qu’un crayon indélébile et des mots
dans un cahier à double marge

maintenant un jour au milieu des récoltes
inondé de ruisselants flots de blé
on me voit
simuler un travail quotidien
tel dans sa baraque d’hiver encombrée
le forain voisin qui haletant
se torture à ne rien réaliser
qu’entasser dessus l’armoire
ses valises éternellement faites

demain je le vois venir
le temps perdu avec la paille battue
on trouvera mon long cou dans une grange
comme à droite au coin la maison jaune fumier
où la mangeuse de lapins aux filles
ouvre une porte d’un air conspirateur
pour ne rien leur offrir que l’adresse
d’un médecin avorteur à la ville

Source : Helga M. Novak : Wo ich jetzt bin. Schöffling & Co., 2005. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.

Zeitenwechsel

gestern soweit ich mich erinnere
eine Zeit voller Kastanienblüten und Patronen
und niemand fand mich
zweimal an demselben Ort
wie vorm Delta-Markt in Königshofen
die Landfahrerin der die Gendarmen
die Taschen umdrehen um nichts zu entdecken
als einen Kopierstift und Wörter
in einem Heft mit Wasserrand

heute ein Tag mitten in der Ernte
überflutet von rieselnden Bächen aus Korn
sieht man mich
eine alltägliche Arbeit vortäuschen
wie in seinem überfüllten Winterquartier
der Schausteller nebenan der keuchend
sich quält um nichts zu leisten
als seine ewig gepackten Koffer
auf den Schrank zu stapeln

morgen so sehe ich es kommen
die Zeit vertan für gedroschenes Stroh
findet man mich langhalsig in einer Remise
wie rechts an der Ecke das mistgelbe Haus
in dem die Karnickel-Esserin den Mädchen
verschwörerisch die Tür öffnet
um ihnen nichts zu geben als die Adresse
eines Arztes der abtreibt in der Stadt

Source : Helga M. Novak : Wo ich jetzt bin. Schöffling & Co., 2005.

***

Givre

rideaux de dentelle derrière fleurs de glace
derrière fenêtres à huit carreaux derrière
volets ciselés derrière de scintillants
buissons givrés chaque branche
une éclosion de galons comme d’argent
au long des branchettes et dans leurs fourches
stores de tulle voiles de gaze mousseline
pendant du bord de toiture épaisse draperie
de franges stalactites broderies ajourées
maison en rondins rêve d’enfant château chimérique
camouflé de gel déguisé encoconné
texture tissage fantasme six
marches de bois un seuil entre
moi et un domicile rêvé

Source : Helga M. Novak : Wo ich jetzt bin. Schöffling & Co., 2005. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.

Rauhreif

Spitzengardinen hinter Eisblumen
hinter geachtelten Fenstern hinter
geschnitzten Läden hinter bereiften
glitzernden Sträuchern jeder Ast
eine Spitzenborte getrieben wie Silber
die Zweige entlang und in den Gabeln
Tüll Stores Gaze Schleier Musselin
von der Dachkante herab dicke Vorhänge
aus Zapfen Fransen Lochstickmuster
Blockhaus Kindertraum Luftschloss
von Frost getarnt verkleidet eingesponnen
Gewebe Gespinste Hirngespinste sechs
hölzerne Stufen eine Schwelle zwischen
mir und einer geträumten Geborgenheit

Source : Helga M. Novak : Wo ich jetzt bin. Schöffling & Co., 2005.

***

FILS DE LA VIERGE tissés sur les églantiers
sous le croissant lunaire chaque bruyère
ajuste ses filets à cheveux incrustés de perles
frais miroitement humide par-dessus les pommes
en chevelure aussi la neige dans la cour
que les renards ont parsemée de plumes
durant beaucoup d’hivers y sèche le bois

Source : Helga M. Novak : Wo ich jetzt bin. Schöffling & Co., 2005. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.


MARIENHAAR über die Hagebutten geworfen
unter Halbmond hat jedes Erikakraut
Haarnetze angelegt mit Perlen darin
das kühle nasse Schimmern über den Äpfeln
haarig auch der Schnee auf dem Hof
die Füchse haben ihn mit Federn bestreut
für viele Winter trocknet da Holz

Source : Helga M. Novak : Wo ich jetzt bin. Schöffling & Co., 2005.


 

 

Helga M. Novak est une poète allemande (1935-2013). Sa poésie est tantôt âpre et tourmentée quand elle exprime ses errances et ses colères, tantôt reflet fasciné d’une nature plutôt nordique qui englobe la société humaine. Enfant adoptée et maltraitée, fugueuse, sans doute parfois vagabonde, Helga Maria Novak suit l’école de journalisme dans la RDA soviétique où sa critique du régime la rend indésirable. Elle fuit en Islande, se marie, travaille dans une pêcherie, a deux enfants qu’elle abandonne comme on l’a fait pour elle. Elle retourne en RDA, écrit des ballades brechtiennes, appréciée par le chansonnier dissident Wolf Biermann. Puis elle repart en Islande, retourne en Allemagne de l’ouest, se fixe un temps en Pologne. Son autobiographie Die Eisheiligen (« les saints de glace ») connait un certain succès. Cependant c’est surtout sa poésie qui est marquante, sans complexités mais minutieuse dans ses mots et traversée par une énergie rageuse ou éblouie souvent bouleversante. Malgré quelques prix littéraires elle reste une marginale inadaptée à la scène littéraire allemande. L’anthologie qu’édite d’elle le poète expérimental Michael Lentz en 2005, Wo ich jetzt bin, provoque un regain d’intérêt pour son œuvre poétique.


Bibliographie sélective :
Margarete mit dem Schrank. Rotbuch, 1978.
Die Eisheiligen. Luchterhand, 1979. (roman)
Grünheide Grünheide. Luchterhand, 1983.
Legende Transsib. Luchterhand, 1985.
Märkische Feemorgana. Luchterhand, 1989.
Silvatica. Schöffling & Co., 1997
Wo ich jetzt bin. Schöffling & Co., 2005 (anthologie)

Traduction en français :
C‘est là que je suis, Buchet-Chastel 2007, traduit par Jean-François Nominé
Silvatica, Editions Unes, 2022, traduit par Laurent Cassagnau
Notons aussi la revue universitaire Etudes germaniques n°2 / 2025 avec des articles sur des femmes poètes germanophones : Helga M. Novak, Barbara Köhler, Ulrike Draesner, Friederike Mayröcker

Sitographie :
Présentation du recueil Silvatica de Helga M. Novak par son traducteur Laurent Cassagnau
Conférence audio de Céline Weck sur la biographie de Helga M. Novak dans un cycle sur « les femmes hors-la-loi »
Petit article en français sur Helga M. Novak



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