“Le livre // n’est là que pour nous délivrer”, écrit Gérard Pfister. Poesibao propose parallèlement une note de lecture du livre.
3
Le livre ne témoigne
ni ne prolonge
il éveille
10
que de livres
sans enjeu
où rien n’est à tenter
35
La matière
la lumière du monde
comme elle ruisselle
43
Les choses
sont poussière
ne restent que les noms
78
La lecture
a cessé
l’expérience continue
103
Le paysage
n’est plus
qu’une ligne noire de forêts
174
Le minuscule chatoiement
de presque riens
de lumière
189
Qu’enfin
se relâchent
les rudes mâchoires du sens
212
La fugue
des mots ne dit
que la fuite du monde
336
Un livre
est un tombeau
un berceau
382
Le livre
nous dilate
nous fait poreux au monde
488
Ne parle pas
du livre
seulement de l’expérience
Gérard Pfister, Le livre, suivi de L’expérience des mots, coll. Les Cahiers d’Arfuyen n° 253, Arfuyen, 2023, 228 p., 17€
Sur le site de l’éditeur :
Le Livre est porté par une folle ambition : faire à la fois éprouver (par les poèmes) et comprendre (par la prose) ce que c’est qu’écrire, lire, vivre parmi les mots. Livre, autant que réflexion sur le livre. Livre-miroir de ce qu’est pour chacun « L’expérience des mots », titre de l’essai qui clôture l’ensemble.
Avec Ce qui n’a pas de nom (2019) et Hautes Huttes (2021), Le Livre constitue le dernier volet d’un triptyque de 2500 poèmes et près de 1000 pages : Les Jeux de la lumière et des voix. Il en est à la fois le couronnement et le mode d’emploi.
Aux 1000 quatrains de chacun des deux volumes précédents succèdent ici 500 tercets. L’essai qui les suit, « L’expérience des mots », explicite le sens de l’ensemble, mais aussi de la poésie et de la littérature elles-mêmes.
Car nous vivons parmi les mots bien plus que parmi les choses. Et aujourd’hui tout particulièrement où nous sommes plus que jamais coupés de la nature. Enfermés dans un monde de signifiants tellement proliférants qu’ils en viennent à ne plus signifier qu’eux-mêmes et nous priver de tout recours.
À quoi sert le livre ? Non pas à nous couper davantage encore du monde, à nous isoler dans les ruminations dérisoires d’un ego malheureux. Non, tout au contraire : il s’agit d’ajourer les mots, de les rendre transparents, fluides, pour qu’ils deviennent une fenêtre sur le réel, sur la nudité inquiétante et merveilleuse du réel. Pour qu’ils deviennent passage.
« Le livre / n’est là // que pour nous délivrer ». Nous délivrer des mots par un autre usage des mots. Nous délivrer du livre, et ainsi nous délivrer de nous-mêmes. Car, dit le premier poème, « Ce n’est pas du livre / qu’il faut parler // mais de l’expérience ». Et le second : « Que serait un livre // si ce n’est le silence / où il nous fait entrer ». C’est cette expérience de « délivrance », d’ouverture, qui est l’enjeu du livre : notre liberté même.
Gérard Pfister est né en 1951 d’une famille qui, du côté paternel, était établie à Colmar de longue date. Du côté maternel, les activités sont tournées vers les pierres précieuses, en relation avec le milieu diamantaire néerlandais. C’est ainsi qu’il est en proche parenté avec la famille d’Etty Hillesum.
Il soutient en 1975 une thèse de doctorat sur le poète dadaïste Pierre de Massot. Dada, en filiation avec la mystique rhénane, demeurera tout au long de son travail un point de repère essentiel et constant.
Du nom d’une montagne où il possédait alors une maison de berger, face au Mont Ventoux, il crée en 1975 avec quelques amis les éditions Arfuyen dont il assurera sans interruption la direction littéraire.
Nombreux voyages en Italie mais aussi également en Turquie, vers laquelle il est tourné par des liens familiaux. Il a réalisé également de nombreuses traductions de l’allemand, de l’anglais, de l’italien et du turc. Il partage son temps entre Paris, Strasbourg et les Hautes-Vosges alsaciennes.