Alain Lance qui connait bien le poète irlandais Geoffrey Squires a choisi quelques extraits du dernier livre paru chez Unes.
Geoffrey Squires est né en 1942 en Irlande. Il a vécu en Iran, en France, aux États-Unis puis en Angleterre, à Hull, où il réside. En 1975 il publie son premier livre, Drowned Stones (Pierres noyées), recueil éclaté et cosmopolite, remarqué pour son innovation formelle héritée de la poésie américaine de l’époque, en réaction à la poésie irlandaise lyrique de l’après-guerre. On lui doit une traduction commentée du Divân de Hafez. C’est d’ailleurs à Ispahan, en 1966, que je fis sa connaissance.
En France, les 9 livres de Geoffrey Squires ont paru aux Éditions Unes dans des traductions de François Heusbourg.
Voici quelques poèmes de ce choix, qui est le deuxième volume de la collection de poche des éditions. .
Alain Lance
Page Geoffrey Squires sur le site des éditions Unes
Darkness has set us adrift again
without our knowing it we have become
children of the early morning tide
while we lay and dreamed, the night
slipped us our moorings
We have been offered immortality
but we prefer to take our chance
out of homesickness perhaps
or out of pride, or fear
of another Troy
Yesterday I thought I saw again
behind me on the horizon smoke
from the burning city and a vision of
my son praying, washing his hands
in the grey surf
L’obscurité nous a de nouveau mis à la dérive
sans le savoir nous étions devenus
enfants de la marée matinale
alors qu’allongés nous rêvions, la nuit
a largué nos amarres
On nous a offert l’immortalité
mais nous préférons tenter notre chance
par mal du pays peut-être
ou par fierté, ou par peur
d’une nouvelle Troie
Hier j’ai pensé voir de nouveau
derrière moi à l’horizon la fumée
d’une cité en flammes et la vision de
mon fils priant, lavant ses mains
dans les vagues grises.
*
He goes repeatedly to the window
it is we who wither away
Animals
in the undergrowth
in the trees
alert to the edge of fear
feet clutched in delight
Landscape
about which there is nothing human
He goes repeatedly to the window
a warm night and all
Sense of the field complex non linear
memories
and whispers of composite faces
And then
the great cry of ragged wings
this shadow astride our shadow
Il retourne sans cesse à la fenêtre
c’est nous qui dépérissons
Animaux
dans le sous-bois
dans les arbres
attentifs à la lisière de la peur
pattes crispées de joie
Paysage
à propos duquel il n’y a rien d’humain
Il retourne sans cesse à la fenêtre
une nuit chaude et tout
Perception du champ complexe non linéaire
souvenirs
et murmure de visages mêlés
Et puis
le grand cri d’ailes déchirées
cette ombre à cheval sur notre ombre
*
Modalities of clarity obscurity
unfailing the light failing
as the day subsides
No movements but small movements
grey fowl scuffling the lake water
the growing alienation of the trees
A bit of a moon not much
Soft cries of sleep
warm nights light summer dark
the obstinate particularity of memory
Modalités de clarté d’obscurité
la lumière défaille infailliblement
comme le jour descend
Pas de mouvements sauf de petits mouvements
oiseau gris s’ébrouant dans l’eau du lac
l’aliénation grandissante des arbres
Un soupçon de lune pas trop
Doux cris de sommeil
nuits chaudes noir clair de l’été
l’exactitude obstinée de la mémoire
*
It is easier to talk is it not
when one is doing something
in the kitchen for example
or on a walk or a long journey
as if the words
could not bear their own weight
and we needed something else
some activity that had nothing to do
with what was being said
C’est plus facile de parler n’est-ce pas
quand on fait quelque chose
à la cuisine par exemple
ou en promenade ou en long voyage
Comme si les mots
ne pouvaient supporter leur propre poids
et que nous avions besoin de quelque chose d’autre
une activité qui n’aurait rien à voir
avec ce qui était en train de se dire
Geoffrey Squires, choix de poèmes, Éditions Unes 2024 édition bilingue, traduite de l’anglais (Irlande) par François Heusbourg, 128 p., 10,40 €