Fernando Pessoa, “Ultimatum”, extraits


Isabelle Baladine Howald a choisi pour l’anthologie de Poesibao cet étonnant extrait d’un livre de Fernando Pessoa publié chez Unes.



Faillite générale de tout à cause de tous !
Faillite générale de tous à cause de tout !
Faillite des peuples et des destins – faillite totale !
Défilé des nations sous mon Mépris !
Toi, ambition italienne, chien-chien nommé César !
Toi, « effort français », coq déplumé à la peau tatouée de plumes (ne le remontez pas trop fort sinon il se casse !)
Toi organisation britannique, avec ton kitchener envoyé par le fond dès le début de la guerre !
(It’s a long, a long way to Tupperware, and a jolly sight longer way to Berlin !)
Toi, sculpture allemande, sparte pourrie à l’huile d’olive de christisme et au vinaigre de nietzschisation, ruche en fer blanc, transbordement impérialoïde de servilisme enchaîné !
Toi, Autriche soumise, mélange de sous-races, battant de porte de type K !
Toi, Von Belgique, héroïque par force, nettoie ta main sur le mur que tu fus !
Toi, esclavage russe, Europe de malais, libération d’un ressort détendu qui s’est cassé !



Aujourd’hui c’est la guerre, un jeu où on pousse de ce côté et on retient de l’autre !
J’étouffe de n’avoir que ça autour de moi !
Laissez-moi respirer !
Ouvrez toutes les fenêtres !
Ouvrez plus de fenêtres qu’il n’y a de fenêtres au monde !



Hommes, nations, desseins, tout est nul !
Faillite de tout à cause de tous !
Faillite de tous à cause de tout !
Complètement, totalement, intégralement :

MERDE!


Alvaro de Campo/Fernando Pessoa, Ultimatum, ed Unes, trad Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin, 2023, 51 p, 14 €


Fernando Pessoa dit MERDE !


On ne connaissait pas tellement ce virulent et politique Pessoa, sous l’hétéronyme d’ Alvaro de Campos, « poète sensationniste » dont Jean-Pierre Hourcade nous parle dans sa préface. Tout et tous passent à la poubelle de l’Histoire sous cette plume, loin du doux et mélancolique Bernardo Soarès du Livre de l’intranquillité. Dans cet énorme écart, bordé de longs silences, le mystère de Pessoa, poète aux hétéronymes et personnalités différentes, flotte sans fin.
Ultimatum est en tout cas un épisode brûlant, et qui a d’étranges résonances avec le monde actuel. Absolument nécessaire.

Choix d’Isabelle Baladine Howald