Aurélie Olivier, « Mon corps de ferme », lu par Nathalie de Courson


Nathalie de Courson explore pour Poesibao ce premier livre d’Aurélie Olivier, écho terrible des pratiques du monde agricole en Bretagne.


 

Aurélie Olivier, Mon corps de ferme, éditions du commun, Rennes, 2023, 55 p., 11€.


Risquer sa peau pour la sauver


Rudes et pernicieuses sont les atteintes causées en France, au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, par le développement de l’industrie agro-alimentaire – notamment en Bretagne – qui a entraîné une destruction des équilibres naturels dans l’indifférence aux lois de la vie. 
Avec un ensemble de poèmes directs, à l’emporte-pièce, Aurélie Olivier nous dit dans Mon corps de ferme, qui est son premier livre :
J’ai vécu 18 ans à l’intérieur d’une ferme
j’ai vécu 18 ans à l’extérieur d’une ferme
j’ai la majorité des deux côtés
j’en ai assez des deux côtés

55 pages pour tracer à grands traits l’histoire du monde agricole breton : remembrement, motorisation croissante, élevage intensif, engrais chimiques…
Pendant ce temps, dans les familles, les rôles restent traditionnellement distribués :

Les femmes servent à manger
Les hommes servent à boire 

C’est un monde catholique avec des écoles privées, des communions, des dimanches à l’église :

l’hostie a un goût de chips ramollies et de réglisse

et de temps en temps , « la procession qui conforte/ le conforme ».

Aurélie Olivier joue avec les sons et les mots tout en donnant des chiffres, des pourcentages, des précisions de marques de machines… C’est rapide, implacable, sarcastique, et en même temps retenu, maîtrisé.

La progression se fait par touches discrètes.
Sur une page de gauche, un magazine féminin donne une liste de «10 bonnes raisons de sortir avec un agriculteur » :

« La campagne, les adorables petits veaux qui viennent de naître, les promenades en tracteur, les fleurs des champs et autres champignons qu’il vous ramène de temps en temps, les bottes de fleurs qu’il vous a offertes (… »)

Et sur la page de droite :

Mélanomes, lymphomes, leucémies, tumeurs
du système nerveux central, cancers de la prostate :
il y a des risques accrus de développer certaines
maladies au sein des exploitations familiales

À la page suivante le pluriel devient singulier et l’impersonnel personnel :

Malheureusement les résultats d’analyse sont formels, j’ai surestimé ma stratégie : c’est un mélanome. On va
devoir faire une seconde opération à l’hôpital du cancer.

Quelques lignes plus bas, un mot se décompose en trois. Et avec ces trois mots arrive le double impératif qui résume la métamorphose du son et du sens qu’opère la peau d’écriture d’Aurélie Olivier :

Mets-là, nomme

Voici le dernier poème du recueil :

Devoir risquer sa peau
Pour la sauver
Exuvie à vie

Imposer la jachère
Se rêver génisse
S’inventer talus

Je sais la rivière bien polluée
Mais maintenant que tu as lu

Mon corps de ferme déjà sait fondre
Mon corps de ferme s’effondre :

Deux points finaux qui invitent à continuer.

« Exuvie à vie » en écrivant et en lisant.

Nathalie de Courson


Aurélie Olivier, Mon corps de ferme, éditions du commun, Rennes, 2023, 55 p., 11€.