Dans la série des traductions d’Emily Dickinson par années, aux éditions Unes, un cinquième volume portant sur les années 1860-1861
Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes 1860-1861, traduit de l’anglais (États-Unis) par François Heusbourg, bilingue, postface de Claude Ber, Éditions Unes, 2023, 144 p., 21 €
Si je pouvais les soudoyer avec une Rose
Je leur apporterais toutes les fleurs qui poussent
Entre Amherst et le Cachemire !
Ni la nuit, ni l’orage ne m’arrêteraient –
Ni le gel, ni la mort, ni personne –
Mon affaire me serait si chère !
S’ils s’attardaient pour un Oiseau
Mon Tambourin aussitôt se ferait entendre
A travers les forêts d’Avril !
Inlassablement, tout au long de l’été,
Pour reprendre une chanson plus sauvage
Quand l’Hiver secouera ses branches !
Et s’ils m’entendent !
Qui peut affirmer
Qu’une telle insistance
Ne servirait finalement à rien ?
Que, lassés par ce visage de Mendiante –
Ils ne finissent par dire, Oui –
Pour qu’elle quitte enfin la Salle ?
(p.49)
If I could bribe them by a Rose
I’d bring them every flower that grows
From Amherst to Cashmere!
I would not stop for night, or storm –
Or frost, or death, or anyone –
My business were so dear!
If they would linger for a Bird
My Tambourin were soonest heard
Among the April Woods!
Unwearied, all the summer long,
Only to break in wilder song
When Winter shook the boughs!
What if they hear me!
Who shall say
That such an importunity
May not at last avail?
That, weary of this Beggar’s face –
They may not finally say, Yes –
To drive her from the Hall?
Ma Rivière coule vers Toi –
Mer Bleue – m’accueilleras-Tu ?
Ma Rivière attend une réponse.
Oh Mer – sois bienveillante !
Je te rapporterai des Ruisseaux
Repérés dans quelques coins
Dis, Mer – prends-moi ?
(p. 91)
My River runs to thee—
Blue Sea! Wilt welcome me?
My River wait reply—
Oh Sea—look graciously—
I’ll fetch thee Brooks
From spotted nooks—
Say—Sea—Take Me!
Pleurer est une si petite chose –
Soupirer, une chose si brève –
Et malgré – par Coutume – leur dimension
Hommes comme femmes nous mourons !
(p. 91)
It’s such a little thing to weep –
So short a thing to sigh –
And yet – by Trades – the size of these
We men and women die!
Emily Dickinson, Du côté des mortels, poèmes 1860-1861, traduit de l’anglais (États-Unis) par François Heusbourg, bilingue, postface de Claude Ber, Éditions Unes, 2023, 144 p., 21 €
Note de l’éditeur, sur son site :
La présente édition regroupe un choix de poèmes écrits en 1860 et 1861, juste avant la période la plus intense de sa production poétique. Celle qui se retirera progressivement dans la solitude de sa chambre, fabriquant ainsi malgré elle sa légende, se trouve encore, à cette époque, « du côté des mortels ». Dickinson écrit activement depuis peu de temps, la pratique régulière de l’écriture lui est venue en 1858, à 28 ans, et dans les poèmes de cette première période résonnent encore des échos de Amherst, sa ville natale, dont elle arpente les rues avec son fidèle chien Carlo. La nature est omniprésente, tout un herbier composé de fleurs multiples et colorées habite ses poèmes, qui bruissent de chants d’oiseaux. Mais déjà, par-delà l’existence quotidienne et les paysages familiers, Emily Dickinson semble s’adresser à l’autre monde derrière les collines ; non pas cette Amérique qu’elle ne connaît que par les livres, mais bien l’éternité et les fantômes qui la peuplent. La jeune femme dresse déjà au milieu de son jardin une échelle vers le Paradis dont elle butine les reflets comme une abeille, peut-être pour échapper au passage de l’enfance à l’âge adulte, question qui agite nombre des poèmes de ce volume. Il est trop tôt pour être une femme, dit-elle, et plus précisément une épouse, avec sa vie réglée et ses devoirs. À la veille de se retirer presque définitivement dans le monde intérieur de la demeure familiale, Emily Dickinson ouvre grand les fenêtres sur le monde, faisant le pari de tout faire tenir en un seul geste, la vie et la littérature, l’instant présent et l’éternité, la mystique et la liberté.
Avec Du côté des mortels, nous continuons d’éditer la poésie d’Emily Dickinson en proposant un choix par années, qui permet de montrer les grandes lignes de force et les évolutions de son écriture poétique. Nous ne jouons pas sur les tombes se concentrait sur les poèmes de 1863 qui fut son année la plus prolifique, Un ciel étranger portait sur l’année 1864, Ses oiseaux perdus sur les dernières années de sa vie, de 1882 à 1886 et Je cherche l’obscurité sur les années qui ont suivi la guerre de Sécession, 1866 à 1871. Chaque volume est accompagné en postface d’une évocation d’Emily Dickinson par une poétesse d’aujourd’hui : Flora Bonfanti, Raluca Maria Hanea, Maxime Hortense Pascal, Caroline Sagot Duvauroux, et pour la présente édition Claude Ber.