Eiríkur Örn Norðdahl, un dossier avec traductions inédites de Jean-René Lassalle


Jean-René Lassalle propose aux lecteurs de Poesibao un de ses dossiers de traduction, autour du poète islandais Eiríkur Örn Norðdahl



X.

Mort je fus mais là je vis pour
                                    des siècles de siècles
                        donc je tiens les clés de l’enfer et de la mort

                                    Écris maintenant ce que tu vois :

nourrissons régurgitant le lait de leur mère
            il y a un froid commun dans les airs
                                                           des excréments ensoleillés aussi

Vraisemblablement nous devrions réduire
                                               la pauvreté
                        et enchaîner ceux qui protesteraient
                                    aux cloisons des maisons
                                               aux murs de lamentations
                                                           aux plastrons thoraciques

                        Je suis avec toi dans cette oppression,
                                    dans le royaume          &         la persévérance

                        Je sais ton travail
                                    Tu es vivant par le nom et mort cependant

Source : Eiríkur Örn Norðdahl : Hnefi eða vitstola orð, Reyjkavik 2013. Traduit de l’islandais par Jean-René Lassalle avec traduction anglaise de l’auteur et son original.


X.
Ég dó en nú lifi ég um
                                    aldir alda
                        og ég hef til þess lykla dauðans og heljar
                                    Rita þú nú það er þú sérð:
Ungbörn sem gubba móðurmjólkinni
            það er kvef í köldu lofti
                                                          og sólljósar hægðir
                                    Réttast væri að draga
                                                 úr fátækt
                       og hlekkja þessa mótmælendur
                                   við vegg
                                                við grátmúra
                                                                       við brjóstþil
                       Ég á hlutdeild með yður í þrengingunni,
                                               ríkinu              &          þolgæðinu
                       Ég þekki verkin þín
                                    Þú ert lifandi í nafninu en samt dauður

Source : Eiríkur Örn Norðdahl : Hnefi eða vitstola orð, Reyjkavik 2013.

*

Je suis un en-tête

Je suis un lieu, une date

            Je suis une formule d’appel.

            Je suis une phrase d’ouverture. Je suis une phrase d’introduction. Je suis une phrase qui apporte une requête, apporte une requête, apporte une requête. Je suis la supplique d’un humain désespéré. Je suis de grandes splendeurs d’humilité. Je suis la description de vastes accomplissements. Je suis la réitération d’une modestie. Je suis une énumération, énumération, énumération.
            Je suis renseignement supplémentaire, glose de précision. Je suis la réitération d’une prière, narration d’une misère. J’enfonce le doigt dans la fente de blessures. J’en appelle à l’humanité. J’appelle les culpabilités causées par des évènements des temps passés. Je conte sciemment des non-vérités.
            Je suis le début d’une narration. Je suis l’explication des circonstances. Je suis allusion à un récit différent. Je suis la partie centrale d’une narration. J’en suis la culmination. Je suis sa facturation. Je suis la fin d’une narration. Je suis un proverbe qui résume simplement le scénario. Je suis la nouvelle interprétation de la narration.
            Je suis la suggestion d’un dénouement. Je suis la continuation de la réitération d’une supplique. Je suis la dilapidation de vagues menaces. Je suis un pathétique cri de douleur. Je suis neuf dixièmes de désespoir et un dixième de colère. Je suis une offre de services sexuels. Je suis une description de lieu et temps. Je suis un numéro de téléphone.

            Je suis une formule de politesse.

                        Je suis une signature
                        Je suis un nom

Source : Eiríkur Örn Norðdahl dans Lyrikline.org, Berlin 2010. Traduit de l’islandais par Jean-René Lassalle avec traduction anglaise de l’auteur et son original.


Ég er bréfshaus
Ég er dagsetning, staður
            Ég er formlegt kurteisisávarp.
            Ég er opnunarsetning. Ég er kynningarsetning. Ég er
setning sem rekur erindi, sem rekur erindi, rekur erindi. Ég er sár
bón örvæntingarfullrar manneskju. Ég er reiðinnar býsn af hógværð.
Ég er lýsing á stórkostlegum afrekum. Ég er ítrekun hógværðar. Ég
er upptalning, upptalning, upptalning.
            Ég er frekari útskýring, nánari útlistun. Ég er ítrekun
sárinda, frásögn af eymd. Ég rek fingur í gröft opinna sára. Ég
höfða til mennskunnar. Ég höfða til samviskunnar. Ég höfða til
sektarkenndar vegna atburða horfinna tíma. Ég fer viljandi með
ósannindi.
            Ég er upphaf frásagnar. Ég er útskýring á aðstæðum. Ég er
vísun í aðra sögu. Ég er miðja frásagnar. Ég er ris. Ég er uppgjör. Ég
er frágangur. Ég er málsháttur sem tekur saman söguþráðinn á
einfaldan hátt. Ég er ný túlkun á boðskap sögunnar.
            Ég er uppástunga um málalyktir. Ég er enn frekari ítrekun
sárinda. Ég er bruðlun óljósra hótana. Ég er aumkunarvert
sársaukaóp. Ég er örvænting að níu tíundu hlutum og reiði að
einum tíunda hluta. Ég er boð um kynferðislega greiða. Ég er lýsing
á staðsetningu og tíma. Ég er símanúmer.

            Ég er formleg kurteisiskveðja.
                                    Ég er undirskrift
                                    Ég er nafn

Source : Eiríkur Örn Norðdahl dans Lyrikline.org, Berlin 2010.

*

Inoculation parabolique

En tempo effréné au
galop en nage sur le dos d’enthousiastes
jeunes femmes aux yeux en étoiles au trou noir
dans le regard qui aspire boutons de nacre
cousent vêtements à médailles avec dents
de fer russes sur porcelaine palatale
bulgare personne ne coule
au fond dans un bouillonnement
liquide et ne s’élève
personne
jusqu’aux nuages quand il pleut
des balles de golf plutôt s’enfonce
dans un abri resserre
les corps célestes
et compte les couronnes
qu’on possède recompte
les couronnes
possédées
froisse
non-lues
les factures sur les grilles
des tuyaux qui se bouchent
et quand la salive du ciel
inonde les rebords
des fenêtres s’éteignent
les étoiles dans les yeux
s’éteint aussi le
trou noir
les jeunes femmes sucent
le sang de la lune comme le jus d’une orange

Source : Eiríkur Örn Norðdahl dans Lyrikline.org, Berlin 2010. Traduit de l’islandais par Jean-René Lassalle avec traductions anglaise, allemande et original.


Parabólusetning

Í rífandi gangi á
brokki og baksundi heillaðar
meyjar með glit í augunum svarthol
í augunum sem sýgur í sig hnappa
sauma klæði klink og rússneskar
stáltennur búlgarska postulíns-
góma það sekkur enginn
til botns í sjóðandi
 vatni svífur
 enginn
til skýja þegar rignir
golfboltum heldur lætur
sig síga í skjól dregur
saman himintungl
og telur krónurnar
 sínar telur
kórónurnar
sínar
treður
ólesnum
gluggapósti í ristir
niðurfalla svo allt stíflast
 og þegar himnaslefið
flæðir yfir
gluggakistur slokknar
glitið í augunum
slokknar
svartholið
og stúlkurnar sjúga
blóðið úr tunglinu eins og safann úr appelsínu

Source : Eiríkur Örn Norðdahl dans Lyrikline.org, Berlin 2010.

*

Eiríkur Örn Norðdahl

Eiríkur Örn Norðdahl est un écrivain islandais né en 1978. Pour gagner sa vie il a dû travailler sur les docks, dans un centre d’accueil pour handicapés, être gardien de nuit. Il a habité à Berlin et Helsinki puis organisé en Islande une structure pour les jeunes auteurs (Nyhil) avec évènements et maison d’édition. Il écrit des romans et Illska a reçu le grand prix de littérature islandaise (2012). Il est cependant aussi reconnu pour sa poésie expérimentale, dont il donne des lectures marquantes dans les festivals de littérature internationaux. Il a traduit et édité Allen Ginsberg en islandais. Il est en plus un blogueur productif sur l’internet. Sa poésie est hybride, la pulsion lyrique dramatique y est détournée par des incises de documents formels ou absurdes, le rapprochant de la poésie conceptuelle ou du mouvement flarf qui filtre et réutilise le flot d’informations du web pour métamorphoser les textes, produisant d’étranges portraits du monde actuel, entre désespoir, humour noir et critique sociale. Dans son livre Hnefi eða vitstola orð (Poing ou mots vides de sens), écrit pendant la crise financière islandaise, chaque poème a pour titre « X  » et est précédé de la valeur monétaire de la couronne, qui chute un peu plus à chaque page. EON : « Je lis sans cesse tout ce qui m’entoure (panneaux, affiches…) et je le remodèle dans mon esprit… »


Bibliographie sélective

Handsprengja í morgunsárið, Nyhil 2007
IWF! IWF! OMG! OMG!, Kozempel 2011 (traduction en allemand)
Hnefi eða vitstola orð, Mál & menning 2013
Oratorrek, Folargid 2017


Traduction en français

Un long poème assez bouleversant dans la belle et fine revue Muscle de Laura Vasquez (n°14, 2017), traduit par Eric Boury

Illska / Le Mal, chez Métailié en 2015 (réédition chez Points Romans), traduit par Eric Boury.


Sitographie

Ecouter Eiríkur Örn Norðdahl dire en islandais le poème X traduit dans Poesibao

Entretien en anglais avec Eiríkur Örn Norðdahl dans 3 A.M. Magazine

Lecture en Slovénie de 5 minutes de Eiríkur Örn Norðdahl en islandais sans traduction mais il commente en anglais et il privilégie l’aspect concret et rythmé, ce qui permet d’apprécier sa poésie sur des niveaux conceptuel et sonore : 2 poèmes d’incantations contre des dictateurs (Pol Pot et Deng Xiao Ping) et un sonnet composé de sigles (noms de banques et abréviations de langage internet)


Un dossier de Jean-René Lassalle, traductions inédites et présentation de Eiríkur Örn Norðdahl