Jean-René Lassalle propose un dossier de traductions de poèmes d’Armand Schwerner (1927-1999) poète anglophone né en Belgique, émigré aux USA.
là où passe la barque, improviser
il est assis avec La-Pierre-Mort
et mastique près de la porte
mangera-t-il le papyrus
dans le couloir du tambourineur ?
il me quitte suis triste il grimpe
à l’aiguille pour regarder ;
quel œil ! doucement
maintenant funambule
et tant le désert captive
Adam-Égypte, aérien
garçon dansant en extase, léger
roc de pyramide ah
pleurant dans le corridor
une fois encore
Pierre-La-Mort
joue une vieille chanson –
il bondira au travers, il tournera les anneaux
il est assis parmi les nombreuses
figurines, il me quitte.
Ils s’inclinent, ils comptent ;
combien de temps cela prend ;
calmement ils voguent ils
voguent calmement
Source : Armand Schwerner : A Brief Survey, dans le site thing.net, 2004. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
where the boat passes, improvise
he sits with Stone the Death
and munches by the door
will he eat papyrus
in the drummer’s hallway?
he leaves me I’m sad he climbs
the needle to see;
what an eye! careful
now rope-dancer
how the desert holds
Adam the Egypt, dancing
flyboy in a groove, light
pyramid rock oh
cries in the corridor
once more
Stone the Death
plays an old song-
he’ll jump through he’ll turn rings
he sits among the many
figurines, he leaves me.
They bow they count;
how long it takes;
they sail quietly they
sail quietly
Source : Armand Schwerner : A Brief Survey, dans le site thing.net, 2004.
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tribunal
il laisse dériver le bateau
toujours j’ai désiré imiter un rameur qui s’est embarqué
ses rames envahissent mon entier dispositif spinal, moi si fervent avec ma voix
si douce oui
son bateau à fine quille ; lacustres
grignotant la découpe de la rive –
Quand le Veilleur disparaît, répondit-il
– la noire
terre dévore le daim noirci –
cela doit-il être
encore et toujours l’hémorragie
jusqu’à une révision suis épuisé par cette faim rouge
de délivrance, a-t-il importe-t-il était-ce qu’il dise la mort
est une racine médicinale et avait-il saisi le daim transpercé
en professeur ? disparition,
le monastère
violence de ce qui submerge la sensation, personne ne sait
ce qui façonne une bonne école, image d’un bateau, imaginer
un bateau vert, le mot Bateau, la classe de prédicats Bateau, imiter un rameur ? rameur
sur le dos, étendu, tête basculée dans son bateau vert il ne voit
que du ciel
la danse pingouine des grèbes hors de la perception
périphérique, régent de monastère, qui pourrait supporter cela ?
Source : Armand Schwerner : A Brief Survey, dans le site thing.net, 2004. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
the courthouse
he lets the boat drift
I’ve longed to imitate a rower who has shipped
his oars totally inhabit my spinal process, me so devoted so soft-
voiced yes
-his small-keeled boat; lake-bounds
eating the shoreline –
When the Watcher disappears, he answered
-black
earth eats blackened deer-
must it be
again always hemorrhage
into revision I’m worn by this red greed
for release, did he was it matter was he said death
is a medical root and had he seized upon the pierced deer
as teacher? disappearance,
the monastery
violence of what overrides sensation, no one knows
what makes a good school, picture of a boat, picture
a green boat, word Boat, predicate class Boat, imitate a rower? a rower
who lies on his back, stretched, head down in his green boat he sees
nothing but sky
the penguin-dance of the grebes out of peripheral
apprehension, monastery Regent, and who could bear that?
Source : Armand Schwerner : A Brief Survey, dans le site thing.net, 2004.
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Tablette I : Le vidage du jaune
+ + + + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + + + + +
+ + + + +
+ + + + +
+ + + + +
il se nomme lui-même « celui des chevaux gris »
il est « possédant de beaux bœufs verts »
avec (une intention ?) + + + + + + dans le rêve (cauchemar ?)
+ + + + + + + + + + + + d’une lame aiguisée
⦋testicules⦌ …………………………..pour le sol
excrément (sueur ?) sur le …………………
pluie sur le………..
salive sur le……….
sang de cœur sur le………..
des enfants un étrange (beau ?) premier sang dans le………
…………………………………………depuis l’ancienne sécheresse (linge de corps ?)
vomissure (jaune ? Nord ?) n’assouvit pas le sol
pus (ocre ? / NNE ?) n’étanche pas les blessures dans le sol
bile (ocre-jaune ? / NNNE ?) ne ….pas + + + + + + +
il est écartelé sur le………………. comme un porc (dieu ?) éreinté
il est in- + + + + + +
il est dys- + + + + + +
il est sans- + + + + + +
il est dé- + + + + + +
il est impossible sur le sol sec + + + + + + avant + + + + +
il est non- + + + + +
il est pré- + + + + + + + + *
* ces résidus de préfixes isolés sont curieux. La tablette semble avoir été effacée avec précaution. Ce segment est-il une tentative précoce d’unir le sens et la forme. Un vide aussi substantiel que graphique ?
les fourmis recherchent (grappillent ?) leur nourriture
le porc terrien (dieu inférieur ?) lèche une souillure sèche pour trouver de l’eau
les palais sont jaunes (vomissure ? N ?)
regardez les pêcheurs dans leurs motifs (chaussures ?) !
ils comptent les directions du vide avec des noms de poissons
N alose
E morue
S maquereau
O thon
avec l’alose aucune pluie ne pèse sur la brise
avec la morue le vent grondeur est sec (impitoyable ?) *
* intéressant. Nous nous trouvons exactement ou pas loin du point dans le temps où le mot, concret dans son origine, se voile d’une abstraction.
maquereau-pendu-queue-dressée-fumée-mort *
* virtuellement intraduisible. C’est ici la tentative d’une nominalisation indo-européenne de kilt-pap-swad-ur-plonz. Nous ne pouvons transmettre que peu de la catégorie conceptuelle « mort-poisson », plutôt de « haut-bas-poisson-mourant-devenant » qui dans une métaphysique visionnaire connexe se réfère autant à des organismes soumis au temps (comme l’aurochs, disons) qu’au Dieu de la Mort, plonz, dans sa rumination éternelle.
le thon est puissant le thon est puissant la voie haut-bas, mort-fumée
les hommes dansent autour de la pierre
les pierres dansent au-dessus du puits
les puits dansent au-delà des corps comme le porc aérien (dieu des nuages bas de pluie ?)
les corps les corps les corps les corps les corps les corps
au-delà des corps dansent les arbres
les corps désirent baiser les arbres
les (impitoyables ?) corps secs attendent 28 jours
le sang des quatre corps alose
le sang des quatre corps morue
le sang des quatre corps maquereau
le sang des quatre corps thon
* quatre corps ici ; mais six mentionnés auparavant. Étrange.
ils changeront la bile
ils changeront le pus froid à moins……car……mort-poisson
ils pourront-pourraient-auraient pu-peuvent-changer* l’hiver du NNE
* temps intraduisible ; hors des catégories indo-européennes
est-ce qu’ils détruisent l’ocre, l’a/alose-maquereau ? mangent-ils ?
ils attendent le porc gras (dieu ?)
+ + + + + + + + +
+ + + + + + + + + + + +
+ + + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + + + + + +
+ + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + +
………………………………des grands Uniques (Un)*
*majuscules clairement évoquées. Le nombre est douteux. Est-ce le porc ou une incroyable prémonition de l’Élohim primitif ?
+ + + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + +
+ + + + + + + + + + motif (chaussures ?)……………………………
+ + + + + + + + + + +
+ + + + + +
+ + + + + + + + + + + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + ……………………..
Source : Armand Schwerner : The Tablets, (1973) National Poetry Foundation, 1999. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
Tablet I : the emptying of yellow
+ + + + + + + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + + + + + +
+ + + + +
+ + + + +
+ + + + +
he calls himself ‘with grey horses’
he is ‘having fine green oxen’
with (purpose?) + + + + + + + + + + + + + + + + in the dream (nightmare?)
+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + of a sharp blade
[testicles] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . for the ground
shit (sweat?) upon the . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
rain upon the . . . . . . . .
saliva upon the . . . . . . . .
heart’s blood upon the . . . . . . . .
children’s strange (beautiful?) early blood in the . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . from the old dryness (underwear?)
vomit (yellow?/north?) does not slake ground
pus (ochre?/NNE?) does not stanch the wounds in the ground
bile (yellow-ochre?/NNNE?) does not + + + + + + + + + +
he is splayed on the . . . . . . . . . . . like a worn-out pig (god?)
he is un- + + + + + + + +
he is dis- + + + + + + + + + + + +
he is + + + + + + + + + + +-less
he is de- + + + + + + + + + + +
he is impossible on the dry ground + + + + + + + + + + before . . . . . . . . . . . .
he is non- + + + + + + + +
he is pre- + + + + + + + + + + +*
*the isolated prefix remnants are curious. The tablet seems rubbed out
with care. Is this segment an early attempt to unite form and meaning? graph-
ic as well as substantial emptiness?
the ants look (scrounge?) for food
the ground-pig (lower god?) sucks dry filth for water
the palaces are yellow (vomit/N?)
look at the fishermen in their patterns (shoes?) !
they count the directions of emptiness by fish-names
N shad
E cod
S mackerel
W tuna
from the shad no rain weighs on the breeze
from the cod the loud wind is dry (unforgiving?)*
*interesting. We find ourselves at or near the very point in time where
the word, concrete in origin, shades off into an abstraction.
hanging-mackerel-tail-up-smoke-death*
*virtually untranslatable. This is an attempt at an Indo-European nom-
inalization of kili-pap-swad-ur-plonz. We can convey little of the conceptual cat-
egory ‘fish-death,’ rather ‘up-down-fish-dying-becoming’ which refers in a
coterminous visionary metaphysic to both time-bound organisms (like the
urus, say) and the Death God, plonz, in his timeless brooding.
the tuna is mighty the tuna is mighty the way up-down, smoke-death
the men dance around the stone
the stones dance over the pit
the pits dance beyond bodies like the air-hog (god of low rain-clouds?)
the bodies the bodies the bodies the bodies the bodies the bodies
beyond the bodies the trees dance
the bodies need to fuck the trees
the dry (unforgiving?) bodies wait twenty-eight days
the blood of the four bodies shad
the blood of the four bodies cod
the blood of the four bodies mackerel
the blood of the four bodies tuna*
*four bodies here; six of them in the previous mention. Odd.
they will change the bile
they will change the cold pus unless . . . . . . because . . . . . . . fish-death
they will-would-might-have-can-change* the winter of NNE
*tense untranslatable; outside Indo-European categories
do they destroy the ochre, the sha/shad-cod? do they eat?
they wait for the fat pig (god?)
+ + + + + + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + + +
+ + + + + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + +
+ + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + +
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . of the great Ones (One)*
*capitalization clearly indicated. The number is in doubt. Is this the
pig, or an incredible presage of the early Elohim?
+ + + + + + + +
+ + + + + + + + + + + + +
+ + + + + + + + + + pattern (shoes?) . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
+ + + + + + + + + + +
+ + + + + +
+ + + + + + + + + + + + + +
+ + + + + + + + + + . . . . . . . . . . . . .
Source : Armand Schwerner : The Tablets, (1973) National Poetry Foundation, 1999.
Armand Schwerner (1927-1999) est un poète anglophone né en Belgique et émigré aux USA à 8 ans. Il a enseigné dans une université de New York. Il était aussi un clarinettiste improvisateur et un des correspondants de la belle revue DOC(K)S de Julien Blaine. La troupe du Living Theater a mis en scène plusieurs de ses textes vers 1970-80. Dans sa poésie il se situe dans la mouvance « ethnopoétique » qui cherche à réintégrer dans la modernité une base humaine archaïque en poétisant les analyses ethnologiques, comme dans l’imposante anthologie des « Techniciens du sacré » de Jerome Rothenberg (éditée en français par Yves Di Manno chez Flammarion). L’originalité de Schwerner est de ne pas séparer le mythe et son commentaire mais de les intégrer dans une complexe poésie-fiction à plusieurs niveaux de sens. Ainsi dans sa grande œuvre The Tablets, qu’il a continuée toute sa vie, un chercheur déchiffre des tablettes d’argile gravées possiblement sumériennes d’il y a 4000 ans (mais il n’y a aucune indication précise de lieu ou de temps) et recrée leur déconcertante poésie antique, litanique, sacrée, érotique ou palimpsestique, en y insérant directement ses notes de traducteur, parfois ironique ou même burlesque, parfois décontenancé par l’impossibilité de son entreprise à cause de l’éloignement temporel, culturel et linguistique. Chaque tablette comprend un système de signes qui ponctue visuellement les « textes » : lignes de points pour les passages intraduisibles, de croix pour les mots manquants, points d’interrogation pour les variantes possibles, crochets pour les ajouts du traducteur, astérisques ouvrant des notes et réflexions anthropologiques, pictogrammes hiéroglyphiques hermétiques. Par-delà certains aspects carnavalesques une émouvante mélancolie se glisse dans cette poésie qui sonde l’humain et se situe souvent, selon l’auteur, dans l’interaction entre vers et prose. Les éditions Vies Parallèles en ont publié une superbe édition en français, Les Tablettes, en 2018. Vers la fin de sa vie, Schwerner préparait une nouvelle traduction de La Divine Comédie mais il n’a pu l’achever.
Bibliographie sélective :
The Lightfall (Hawk’s Well Press, 1963)
Seaweed (Black Sparrow Press, 1969)
The Tablets I-XV (Grossman, 1971)
The Bacchae Sonnets (Cummington Press, 1974)
The Work, the Joy & the Triumph of the Will (New Rivers Press, 1977)
Sounds of the River Naranjana (Station Hill, 1983)
Selected Shorter Poems (Junction Press, 1999)
The Tablets (National Poetry Foundation, 1999)
Traduction en français :
Les Tablettes (Vies Parallèles, 2018) traduction d’Emmanuel Requette
Sitographie :
Quelques aperçus en fac-similé de l’édition des Tablettes en français sur le site de son maquettiste
Lecture audio des Tablets I à XVIII par Armand Schwerner en 1975 dans l’audiothèque PennSound : en particulier la Tablette I traduite ici pour Poesibao, après une introduction : placer le curseur à 3’32 et écouter jusqu’à 8’20. On notera les intonations de voix diverses et les « untranslatable » (intraduisible) marmonnés répétitivement par le chercheur-traducteur
Petite anthologie en anglais de la poésie d’Armand Schwerner éditée par son fils
Un long entretien d’Armand Schwerner à lire en anglais en 1994 dans la revue Hambone de Nathaniel MacKey
Le cinéaste et musicien expérimental Phill Niblock a réalisé un film de 10 minutes en 1973 sur Armand Schwerner récitant la Tablet II et plus
Dossier et traductions établis par Jean-René Lassalle