Jean-René Lasalle propose un nouveau dossier de traductions inédites du poète Angkarn Chanthathip, à partir du thaï et de l’anglais
Maisons et habitants
Chaque point chaque lieu allume une image…
le rivage la plaine le sommet d’une montagne
un champ de riz les bords de route un crépuscule grisaille
là-bas et puis ici la lumière est ajustée…
Scintillante splendeur de la vie
chaque endroit chaque direction mène jusqu’à une ville
la campagne bordures de rivière le proche et le lointain
jamais sans habitants ou maisons
Les formes des demeures sont façonnées par des personnes
partout une antériorité depuis une origine
les anciens temps obscurs sont révolus
émerger du passé pour atteindre le présent
Des gens bâtissent des maisons des foyers
leurs rêves se construisent avec les lumières de leurs vies
la vérité de toutes choses est sous-tendue
continûment par cette réalité
Chaque place est le rêve d’une image
qui révèle un réel plus solide
que le centre de la plus sombre obscurité
en tout lieu sous le ciel est une clarté…
Limpide brillance de la vie
la nuit noire profonde le voyageur le vaste monde
en chaque endroit toute direction il se déploie
jamais sans habitants ou maisons
Source : Angkarn Chanthathip : Hua Jai Hong Thee Ha, Bangkok 2013. Traduit du thaï par Jean-René Lassalle avec une traduction anglaise et l’original thaï.
เรือนและผู้คน
ทีละจุด ทีละจุดส่องจินตภาพ…
ฝั่งทะเล ทุ่งราบ บนภูเขา
ทุ่งนา ข้างถนน ค่ำหม่นเทา
ที่โน่น ที่นี่เฝ้าจุดดวงไฟ…
วอมแวม เรืองรองของชีวิต
ทุกที่ ทุกทิศ ถึงเมืองใหญ่
ชนบท ย่านบาง ทั้งใกล้ ไกล
ไม่เคยไร้บ้านเรือนและผู้คน
จากผู้คนก่อร่างสร้างหลักแหล่ง
ทุกหนแห่งเก่าแก่มาแต่ต้น
ดึกดำบรรพกาลผ่านพ้น
ล่วงอดีตมาจนปัจจุบัน
ผู้คนก่อร้างสร้างเรือนเหย้า
จากดวงไฟชีวิตเฝ้าสร้างความฝัน
ดำรงอยู่เป็นความจริงทุกสิ่งอัน
ต่อเนื่องแต่นั้น-ตลอดมา
ทีละจุด จุดความฝันในจินตภาพ
ให้ภาพความจริงที่ยิ่งกว่า
ใจกลางความมืดอันหม่นทา
ที่ไหนไหนใต้ฟากฟ้ามีดวงไฟ…
วอมแวม เรืองรองของชีวิต,
คืนมืดมิด คนเดินทาง โลกกว้างใหญ่
ทุกแห่งทุกหนดั้นด้นไป
ไม่เคยไร้บ้านเรือนและผู้คน
Source : Angkarn Chanthathip : Hua Jai Hong Thee Ha, Bangkok 2013.
*
Abri des sans-abri
Une fenêtre parmi beaucoup
reflète évènements miroir de rebuts
toit crevassé fouetté jusqu’à la charpente
qui résiste puis se brise s’effondre
encombré monde des sans-logis
la communauté pourrait offrir
un tranchant apparaît une famille manque presque recouvré
la maison reste froide étrangère les épreuves reviennent
avoir ses racines arrachées sous l’arbre familial
errer dans différents temps et espaces
reflux de la force dénuement charité
les impressions se brouillent une dureté approche
unis par une résignation ces gens
une essence nombreuses différences
tombés enfuis envahis négligés rien qu’un « cas »
l’époque bouge et change en mouvement
« réfugiés » au travers de circonstances
la pression affaiblit les contracte
jusqu’à ce qu’un espoir avorté percute une énergie
les marques de pierrailles s’estompent jamais entièrement
fenêtres encrassées au cœur de la ville
exister avancer être aliénation solitude image déformée
portrait identité « fantôme » vivant
ombre distordue blâmée
maison inretrouvable sans retour possible
l’espérance soutient un rêve réchauffe
sous l’autopont le pavé empathie
image fusionne éprouvant tendresse
possessions perdues routes barrées promesses brisées
ne peut avancer ni reculer piégé
terrain public peuplé de démunis
centre interdit par rubalise
les réfugiés des circonstances
se mêlent dans un désarroi
le parc Sanam Luang sous intrusion perturbé
va s’immiscer dans chaque recoin de la ville
Source : Angkarn Chanthathip : Hua Jai Hong Thee Ha, Bangkok 2013. Traduit par Jean-René Lassalle sur une traduction anglaise.
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La cinquième cavité du cœur
Vallées profondes demeures rivières ruisselantes
l’horizon du ciel s’élève jusqu’aux nuages blancs
emmitouflant la chaîne de montagnes
qui s’étire étincelante pour enlacer la terre –
Le cœur rêve de paix
domine le malheur, évente un feu incessant
se dresse résilient, sait comment écouter
Tels des pluies, amour et espoir tempèrent la chaleur
Tapissé de vallées demeures rivières ruisselantes
le cœur la nuit réitère le songe immémorial
se souciant de la terre du ciel
Village natal chambre pour l’éternité
Village natal chambre pour l’éternité…
Source : Angkarn Chanthathip : Hua Jai Hong Thee Ha, Bangkok 2013. Traduit du thaï par Jean-René Lassalle avec une traduction anglaise et l’original thaï.
หัวใจห้องที่ห้า
หุบลึก บ้านเรือน แม่น้ำไหล
รั้วขอบฟ้าสูงขึ้นไปหมู่เมฆขาว
ห่มขุนเขาเหยียดยอดทอดเทือกยาว
พราวพรืดพราวโอบอ้อมแขนกอดแผ่นดิน –
ดวงใจใฝ่ฝันสันติสุข
ท่ามกลางทุกข์กระพือไฟไม่สุดสิ้น
ขีวิตหยัดอยู่และรู้ยิน
รักและหวังดังฝนรินลงดับร้อน
พรมหุบลึก บ้านเรือน แม่น้ำไหล
คืนดวงใจใฝ่ฝันอันเก่าก่อน
แผ่นดิน ผืนฟ้า เอื้ออาทร
เป็นบ้านเกิด เรือนนอน นานแสนนาน
เป็นบ้านเกิด เรือนนอน นานแสนนาน…
Source : Angkarn Chanthathip : Hua Jai Hong Thee Ha, Bangkok 2013.
Traductions inédites de Jean-René Lassalle
Angkarn Chanthathip est un poète thaïlandais né en 1974 dans une famille de paysans modestes qui découvre la poésie grâce à son instituteur et s’y perfectionne à l’université en lisant la littérature mondiale avec un groupe de jeunes écrivains réformateurs. Pour gagner sa vie il travaille pour un magazine médiatique de la capitale et cherche à garder une indépendance de conscience dans un pays, la Thaïlande, qui a encore peu de contacts artistiques à l’international (si ce n’est le cinéaste Apichatpong Weerasethakul). La langue thaï est à plusieurs tons (comme le chinois) mais alphabétique et s’écrit normalement sans espace entre les mots : voir le dernier vers du premier poème, « jamais sans habitants ou maisons », qui se présente dans l’original thaï comme un seul long mot. Les espaces indiquent la fin d’une phrase, mais celles de Chanthathip semblent fragmentées. D’après ses traductrices anglaises, Chanthathip emploie un flottement syntaxique en espaçant des syntagmes, accentuant un effet de transe, même quand il articule le passage historique de la société rurale au modernisme urbain (des champs de riz à la mégapole Bangkok) ou exhume des scandales politiques (dans une monarchie semi-autoritaire), prenant le parti des démunis. Que la voix de ce poète soit critique ou rêveuse, elle est méditative et insistante. Chanthathip pense que la littérature n’a qu’une place réduite dans son pays. Mais quand il a reçu le prix des écrivains du Sud-Est Asiatique (S.E.A. Write Award) en 2013, son livre Hua Jai Hong Thee Ha (La cinquième cavité du cœur) est devenu aussi disponible dans certains supermarchés. Angkarn Chanthathip, écrit dans une perspective qui semble bouddhiste : « La tristesse permet de ré-imaginer les choses et les personnes qui sont vraiment importantes et d’avoir tendresse pour elles… La poésie est une forme d’art qui ne reflète pas seulement les émotions de l’auteur, elle demande une recherche intense… Et quand on fait ce que l’on aime on ne sent plus de pression mais un bien-être… ».
Bibliographie
Wiman long daeng (Agonie au paradis), Bangkok 2002
TeeTee Rao Yuen Yu (Où nous sommes) Bangkok 2007
Hontang lae Teepakping (La route et l’abri) Bangkok 2010
Hua jai hong tee ha (La cinquième cavité du cœur) Bangkok 2013
Rawang Tang Klub Ban (Sur le chemin du retour) Bangkok 2019
Sitographie
Vidéo où Angkarn Chanthathip lit un poème en thaï avec traduction anglaise
Entretien avec Angkarn Chanthathip dans un magazine de Bangkok, à lire en anglais
Dossier sur Angkarn Chanthathip au Poetry Translation Centre de Londres
Dossier préparé et réalisé par Jean-René Lassalle