A livres ouverts (dans la vitrine poésie du vendredi 5 avril 2024)


On ouvre la vitrine poésie virtuelle du vendredi 5 avril 2024 pour y feuilleter quelques-uns des livres qui s’y trouvent.



Poesibao ne feuillete pas ici les livres de Gérard Pfister et d’Anne Dujin pour lesquels des notes sont à venir.


1. Antonia Pozzi, Un fabuleux silence, journal de poésie 1933-1938, traduit de l’italien et présenté par Thierry Gillybœuf, Arfuyen, 2024, 22€

Présentation sur le site de l’éditeur
Les Éditions Arfuyen ont entrepris de publier en édition bilingue l’intégralité du Diario de poesia (Journal de poésie), qui constitue l’œuvre unique d’Antonia Pozzi. En 2016 a paru le premier volume intitulé La vie rêvée. Journal de poésie 1929-1933, qui a remporté un vif succès. Ce second volume, Un fabuleux silence. Journal de poésie 1933-1938, en constitue la dernière partie. Traduite en de nombreuses langues, elle est révélée pour la première fois en français grâce à la traduction intégrale de Thierry Gillybœuf, traducteur également de Quasimodo, Svevo ou Sinisgalli. – lire la suite.

Extraits choisis par Poesibao :

Refuge
Brumes. Et le bruit sourd des cailloux
dans les canaux. Voix d’eau
au pied des névés dans la nuit.

Tu déplies une couverture pour moi
sur la paillasse :
avec tes mains dures
tu l’enroules autour de mes épaules, doucement,
pour me protéger
du froid.

Je pense
au grand mystère qui vit
en toi, en plus de ton geste
doux ; au sens
de cette fraternité humaine sans paroles
qui est la nôtre, parmi les immenses rochers
des montagnes.
Et peut-être y a-t-il plus d’étoiles,
de secrets et d’insondables voies
entre nous, dans le silence,
que dans toute l’étendue du ciel
par-delà la brume.       
                                                Breil, 9 août 1934
/

Rifugio
Nebbie. E il tonfo dei sassi
dentro i canali Voci d’acqua
giù dai nevai nella notte.

Tu stendi una coperta per me
sul pagliericcio:
con le tue mani dure
me l’avvolgi alle spalle, lievemente,
che non mi prenda
il freddo.

Io penso
al grande mistero che vive
in te, oltre il tuo piano
gesto; al senso
di questa nostra fratellanza umana
senza parole, tra le immense rocce
dei monti.
E forse ci sono più stelle
e segreti e insondabili vie
tra noi, nel silenzio,
che in tutto il cielo disteso
al di là della nebbia.
                                    Breil, 9 agosto 1934
(pp. 84 et 85)

*


2. Dagmara Kraus, Si je parlais (toutes langues), traduit de l’allemand et présenté par Jean-René Lassalle, Éditions Grèges, 2024, 16€

Présentation du livre sur le site de l’éditeur.
Anthologie de poèmes de Dagmara Kraus. Ces textes sont des « petites machineries artistiques » de mots, manipulant les structures de son idiome de base (l’allemand), avec des accents lyriques, élégiaques, carnavalesques. Dagmara Kraus est une des poètes allemandes les plus dynamiques et respectées de la nouvelle génération

Extraits choisis par Poesibao
Poesibao rappelle que Jean-René Lassalle est un des plus fidèles contributeurs de Poesibao et propose chaque mois au site des dossiers de traductions inédites très fouillés.

DELÀ RESPLENDEUR
delà splendide soyeux : déferlement de nuages
volée de tonnerre dans laine languide ; ton d’ionone,
louchant ; les flammulas outrecalendaires
soudain déséclaircies. — que les étoiles s’immiscent
par l’indigolithe sub rosa la nuit dans ma
maison et jamais plus du ciel morose et
fébrile n’abandonnerai ce lait de fagne aux vents.
que les étoiles parviennent entretemps, depuis l’indigolithe
à s’effondrer jusqu’ici, toutes et chacune les
fouillerai cherchant une louvoyante
gemme. (m’as-tu promis avant
mourir père dans une prompte notule qu’une
nuit où lune et lémure tanguent tu
disperserais les lumières en riant.) — delà
les lieux papillotants : EXTINCTIONSTELLAIRE,
volée de colombe incline la voûte ; ravagé
l’essaim des soleils, bréhaigne est caboche qui
quête et requiert un delà-monde. extinctes
l
es étoiles dans l’indigolithe, le cosmonocturne
pourtant se redorerait : un éclatement de rire
arquenciélant résonnerait du delà, orphelinant.
(p. 11)

FATRASIE
supposons pourtant une fois
que oiseaumot infiltre
sa trogne morfondue
peut-être même un peu tailladée
nonobstant d’extrême circonspection
mi-pointant depuis l’extérieur
tortillé dans les pans de sa queue
vers une bouche domestiquée
certaines énergies débattraient
hâtives et secrètes
la datation de ces obstacle
(p. 51)

Découvrir d’autres textes de Dagmara Kraus traduits par Jean-René Lassalle et une présentation de la poète dans ces publications de Poezibao :
(Poètes) Dagmara Kraus, par Jean-René Lassalle, (Anthologie permanente) Dagmara Kraus, par Jean-René Lassalle, (Anthologie permanente) Dagmara Kraus, 2, choix et traductions inédites de Jean-René Lassalle

*

3. Marie Joqueviel
, Devenir nuit, Gallimard, 2024, 17€

Présentation du livre sur le site de l’éditeur(on peut y lire un extrait gratuit)
Comment faire sourdre des phrases qui soient au diapason de l’existence ? Qui la révèlent, la déplient – et nous l’expliquent ? La lucidité qui naît du désastre, mais aussi la confiance en un corps habité par ses fantômes, invitent à mettre en œuvre une éthique de la parole – et de la poésie – qui fasse « de la déchirure un lieu où vivre ». L’assurance de la voix de Marie Joqueviel – claire, vibrante, allante -, et l’intensité du rythme qu’elle impose sont d’une absolue maîtrise formelle. Ses propos touchent avec délicatesse à l’expérience commune de la survie dans la perte, de la persistance au cœur des aimés disparus.

Extrait choisi par Poesibao
3
et la solitude comme une coupe froide
que les mains arrondies en corolle soupèsent au bord de la brisure
il faut la rompre avec des mots

la certitude                  loin
que parfois elle rouvre inutilement la déchirure                      celle
que le corps encage à défaut de l’écrire

dire délivre de la douleur
quand le corps perdu des autres
passe dans le chant
jsu’aux larmes de joie


tu n’auras pas peur alors
de te défaire
de ce qui
            de toutes façons ne t’appartient pas
ni dans la vie ni dans la mort
le corps
des autres
            que tu abandonnes à la poussière du temps
mais pas
ton amour
                        qui reste

pour tenir tête à ta propre mort
(p. 33)

*

Esther Kinsky
, Espace naturel protégé, traduit de l’allemand par Raphaëlle Vaillant, éditions Grèges, 2024, 16€

Présentation du livre
Espace naturel protégé est un ouvrage de terrain, hommage à une Nature que les photographies de l’auteur découvrent dans toute sa subtilité, délicatement vulnérable, si véritable dans son dénudement ; nature ô combien touchante aux vertus légendaires, décryptée dans ses plus infimes secrets. C’est en cela que toute la finesse de la plume d’Esther Kinsky, son indéfectible lien avec toute chose naturelle, transparaissent a fortiori dans Espace Naturel Protégé. Le moindre espace est empreint du langage de la nature, la moindre ligne, imprégnée de son nom en une ode aux accents rituels. Et à chacun des poèmes, c’est ce travail d’une langue affûtée et concise en ses plus habiles et sonores atours, qui imprègne la lecture habitée par la clarté de clichés exempts de tout artifice, incorporés au langage en une harmonie intemporelle qui imperceptiblement suit le cours des saisons.

Extrait choisi par Poesibao :
Antiques coutumes des affamés-de-survivre : mettre le feu à la
forêt primaire intouchée les flammes de jaillir aux
quatre vents outrepassant la masse d’arbres pour rendre
le terrain cultivable les uns les déclencheurs
les autres les guides du feu qui lui parlant tout bas
l’apaisent viens va saute t’échappe
hophop par ici par là et cependant ne
remarquent pas leurs sourcils cils chevelure
s’altérer tandis que l’étendue primaire en apparence succombe
à l’extinction et ainsi se retirent-ils fourbus
imperceptiblement dégarnis rabougris et roussis du
feu déclenché portent la main au front et
leur regard à l’horizon comme il est vaste ce nouveau champ
dans sa noire si noire robe
le primaire qui toutes ses forces en un renflouement de nœuds
rassemble pour de nouveau paraître à la lumière.
(p.25)