Poesibao propose deux textes inédits de Vianney Lacombe, “La robe de chambre de la grand-mère de Proust” et “Les montagnes”.
LA ROBE DE CHAMBRE DE LA GRAND’MÈRE DE PROUST
Le visage de la grand’mère de Proust est inscrit dans une matière incorruptible avec une inclinaison qui lui permet d’être à la hauteur de l’enfance du narrateur. Mais cette grand’mère éclairée ne peut pas bouger : elle est clouée sur un fond pour mieux la discerner et elle reste ainsi, avec une voix que nous n’entendons pas, mais que le narrateur entend lorsque les contours de sa grand’mère envahissent le temps présent, alors que celui du narrateur est aboli et retourne au néant, de l’autre côté des années – sans oublier la robe de chambre portée par la grand’mère, qui plonge à pic dans le passé enfoui dans l’obscurité. Mais l’inclinaison de son visage, si adaptée à la tendresse des années de l’enfant, du chocolat des pâtisseries, qui sont contenus dans les replis de l’habit de la grand’mère qui n’est pas effacée, qui s’est levée sur les décombres des années, en rejetant le présent de la réalité dans l’indéterminé et nous apprenant qu’entre ces deux extrêmes il ne reste qu’un passé où rien ne s’est passé, puisque le narrateur ne vit jour après jour que pour oublier, tassant ainsi année après année le néant de notre vie passée.
LES MONTAGNES
Les montagnes existent dans plusieurs grandeurs et quand on les regarde, elles existent d’abord en petites montagnes de plus en plus grandes avec de plus en plus de choses dedans jusqu’au moment où elles sont complètes avec des pics et des vallées qu’on ne voyait pas lorsqu’elles étaient petites : elles contenaient seulement les petites choses visibles dans les petites montagnes, et plus on approchait, plus les montagnes devenaient grandes et contenaient beaucoup plus de grandeur dans les petites choses qu’avant ; et lorsque l’on arrivait devant les montagnes, elles étaient terminées, elles n’étaient plus petites à l’intérieur, il y avait de la grandeur partout qui les terminait, et quand on s’en allait et que la montagne se retournait, elle perdait de sa contenance, de plus en plus, jusqu’au moment où elle arrivait à l’endroit où elle était partie de loin, et on la conservait à cet endroit pour revenir la voir quand on aurait besoin de savoir quelle est la forme des morceaux quand ils sont très hauts et s’ils sont attachés en bas quand on ne les voit pas.
Vianney Lacombe