Un nouveau dossier de traductions inédites de Jean-René Lassalle avec trois poèmes d’un recueil de la poète mexicaine Tania Favela.
digue cordages dynamo …les lys dans le champ
que dis-tu ? estacade petit canal – qui suit son rythme –
avance la tête en vide blanc
les lys au milieu des chevaux
tu vois ? quelqu’un regarde impassible le paysage ce paysage
les lys … sont-ce des restes de toi dans l’air ?
vieux cordages qui vibrent les restes de quoi ?
« en entrant nous perdons le langage » (dis-tu) au milieu des chevaux
– dans le champ – …en entrant nous perdons – le bateau au fond de la mer –
– quelqu’un regarde – la tête blanche – la mer – lys dans le champ
… chevaux des restes de quoi ?
tu marches – d’un rythme lent – avances : les tiges stances dynamos
tout sous le soleil se ressemble (et diffère)
les lys tintent – des tiges hautes comme des rêves –
…que dis-tu que je ne t’entends pas ? …quelqu’un chuchote
… les lys dans le champ (intérieur)
au dehors l’écho des paroles : petit canal estacade tige digue
« substituer son flot » – tout dans le soleil –
le sentiment nous façonne (dis-tu)
tout il éveille
Source : Tania Favela : La marcha hacia ninguna parte, Komorebi, Valdivia 2018. Traduit de l’espagnol (mexicain) avec interlinéaire et original par Jean-René Lassalle.
espigón jarcias dínamo …las azucenas en el campo
¿qué dices? escollera canaleta ─sigue su ritmo─
avanza con la cabeza en blanco
las azucenas en medio de los caballos
¿ves? alguien mira impasible ese paisaje este paisaje
las azucenas … son acaso tus restos en el aire?
jarcias antiguas resuenan restos de que…?
“al entrar perdemos el lenguaje” (dices) en medio de los caballos
─en el campo─ …al entrar perdemos ─barco al fondo del mar─
─alguien mira ─la cabeza blanca─ el mar─ azucenas en el campo
…caballos restos de qué?
caminas ─con ritmo lento─ avanzas: espigas jarchas dinamos
todo al sol igual (pero distinto)
las azucenas suenan ─espigas altas como los sueños─
¿qué dices que no te escucho? … alguien susurra
…las azucenas en el campo (adentro)
afuera resuenan las palabras: canaleta escollera espiga espigón
“sustituir su correntada” ─todo al sol─
el afecto nos hace (dices)
todo lo despierta
Source : Tania Favela : La marcha hacia ninguna parte, Komorebi, Valdivia 2018.
*
Le rêveur se ronge les ongles des mots (dit-il) le rêveur est une boîte vide
un tunnel qui s’éveille est le rêveur (il dit) un tunnel en éveil
avec une bouche disloquée crache morceaux de rêve le rêveur avec la bouche disloquée chante
chantonne (il dit)
le rêveur se mange les ongles les doigts – délicieux – dit-elle
se mordille les mains le rêveur boîte vide qui chante sans voix
le rêveur navigue entre les mots nouveau-nés
il navigue – dit, pense, voit – : la terre est une planète froide (se dit le rêveur)
tambourinement, tambour (est la terre) (se dit le rêveur)
la terre est élastique
s’incline vers la chair et de là dans le rêve
descend (tambour, tambourine) à ce rythme d’elle
ou de lui.
Source : Tania Favela : La marcha hacia ninguna parte, Komorebi, Valdivia 2018.Traduit de l’espagnol (mexicain) avec interlinéaire et original par Jean-René Lassalle.
El soñador se come las uñas de las palabras (dice él) el soñador es una caja vacía
un túnel que despierta es el soñador (dice) un túnel despertando
con la boca rota escupe pedazos de sueño el soñador con la boca rota canta
canturrea (dice)
el soñador se come las uñas los dedos —deliciosos— (dice ella)
las manos se come el soñador caja vacía que canta sin voz
el soñador se desliza entre palabras recién nacidas
se desliza —dice, piensa, ve— : la tierra es un planeta frío (se dice el soñador)
tamborileo, tambor (la tierra es) (se dice el soñador)
la tierra es elástica
desciende hasta la carne y de ahí hasta el sueño
desciende (tambor, tamborileo) al ritmo de ella
o de él.
Source : Tania Favela : La marcha hacia ninguna parte, Komorebi, Valdivia 2018.
*
Là-bas un aval de fleuve ici (à l’intérieur) un autre fleuve s’écoule
d’autres fleuves profonds et rapides descendent (chocs de pierres)
ni la peur ni le courage ne nous sauveront
(tu penses) comment s’appelle cet oiseau à ailes jaunes et queue jaune
le loriot marinier le loriot ce chant là (dehors) vogue en jaune
et (dedans) perce une voix comme morsure de fourmi perce et glisse sur le dos
sur les fleuves qui descendent furieux
virevoltent les papillons (claquent comme des pierres) enflamment le fleuve de couleurs
(ils crient) chante le loriot qui vogue dans les airs
… et si le fleuve s’assèche (et si le cœur rétrécit) si l’eau se tarit (je dis)
(il dit) le loriot chante et son chant s’élève ce fleuve ne doit pas s’assécher !
cet or ne va pas mourir ! ne pas laisser tarir ce cœur qui se bloque
dans toutes directions (il crie) voguant ni la peur ni le courage ne nous sauveront
(chocs de pierres) des papillons qui voltigent
à l’intérieur coulent des fleuves profonds.
Source : Tania Favela : La marcha hacia ninguna parte, Komorebi, Valdivia 2018.Traduit de l’espagnol (mexicain) avec interlinéaire et original par Jean-René Lassalle.
Allá río abajo aquí (adentro) otro río desciende
otros ríos profundos y rápidos descienden (choque de piedras)
ni el miedo ni el coraje nos salvarán
(piensas) cómo se llama aquel pájaro de alas amarillas y cola amarilla
oropéndola marinero oropéndola el canto allá (afuera) amarillo navega
y (adentro) punza la voz como mordida de hormiga punza y se expande por la espalda
por los ríos que descienden furiosos
mariposas revoloteando (chocando como piedras) encendiendo de color al río
(gritan) canta la oropéndola navegando el aire
…y si el río se seca (y si el corazón se achica) si el agua se estanca (digo)
(dice) la oropéndola canta y su canto se alza ¡no se vaya a secar este río!
¡no se vaya a morir este oro! no se vaya a estancar este corazón que se atora
en todas las esquinas (grita) navegando ni el miedo ni el coraje nos salvarán
(choque de piedras) mariposas revoloteando
adentro ríos profundos descienden.
Source : Tania Favela : La marcha hacia ninguna parte, Komorebi, Valdivia 2018.
Tania Favela Bustillo est une poète et essayiste mexicaine née en 1970. Elle a été dans l’équipe de rédaction de la revue de poésie et poétologie « El poeta y su trabajo ». Elle aime écrire sur d’autres poètes pour les analyser et les faire connaître (sur Hugo Gola, José Watanabe, Gloria Gervitz…), et elle a édité des anthologies des deux premiers. Elle a traduit un livre de Robert Creeley en espagnol. Elle enseigne à l’Université Ibéro-américaine de Mexico. Ses poèmes sont structurés par multiples couches, voix, refrains, incises qui produisent une incertitude pour faire émerger un étonnement. « Je pense que la poésie génère une expérience vitale (qui) vous donne envie de vivre. » Les voix qui apparaissent sont en dialogue (celles de sa mère, d’un livre, d’un rêve, d’une conversation dans la rue…). Les silences et récurrences produisent des échos comme dans une transe. Au contraire de l’idéologie, le poème ne propose pas une clarté mais une opacité : « un poème ne doit manipuler personne, mais tout le contraire : le poème doit toujours rompre notre équilibre, nous laisser en silence, générer une pensée critique, remettre en question les clichés sentimentaux et renouveler les nuances de l’expérience, c’est ce que je crois. » (Tania Favela, entretien 2019).
Bibliographie sélective
Materia del camino, Compania 2006
Pequeños resquicios, Textofilia 2013
La marcha hacia ninguna parte, Komorebi, Chili 2018
La imagen rueda, Libros de la Resistencia, Madrid 2022
Sitographie
Ecouter Tania Favela dire son poème « Alla rio abajo… » (Là-bas un aval de fleuve…) : elle commence par citer en exergue le poète ancien Wei Ying-Wu
Entretien en espagnol avec Tania Favela sur le site culturel péruvien Vallejo & Co
D’autres poèmes de Tania Favela, extraits de son nouveau livre La imagen rueda, traduits en anglais sur un site états-unien
https://www.aperfectvacuum.club/tania-favela-bustillo
Vidéo de 5 minutes dans un festival de poésie au Salvador en 2021 : Tania Favela lit 3 poèmes de son livre La marcha hacia ninguna parte
Dossier traduit et présenté par Jean-René Lassalle