“S’en sont allés, petits pêcheurs, ballades ruthènes”, lues par Isabelle Baladine Howald


Isabelle Baladine Howald explore ce précieux petit recueil des éditions Alidades dédié à des ballades ruthènes recueillies notamment en Ukraine.



S’en sont allés, petits pêcheurs, ballades ruthènes recueillies par Mychajlo Chmajda, traduites du ruzyn par Guy Imart Alidades, 2022, 43 p, 6 €


 

Ballades des confins de l’Ukraine



Le ruzyn est une langue, ou un dialecte selon les spécialistes, des peuples du pays ruthène, pays situé dans l’actuelle Ukraine ainsi qu’entre Pologne et Hongrie, touchant à la Russie, après une histoire qu’on imagine mouvementée… et c’est loin d’être fini…
Belle idée que proposent les éditions Alidades, la transcription de l’oral à l’écrit de différentes ballades (des contes en vers, pourrait-on dire, chantés), parfois différentes versions sur un même thème.
Elles ont été recueillies par Mychajlo Chmajda, grand connaisseur de la tradition populaire des ballades des temps anciens, auteur d’une anthologie parue dans son pays en 2015, à temps avant qu’ils ne soient oubliés ou simplement censurés comme ce fut parfois le cas. Lui-même « fut révoqué et assigné à résidence », comme le raconte Guy Imart, le traducteur, dans sa postface. Les traducteurs, il faut le répéter encore et encore, sont toujours des gens merveilleux, souvent trop modestes et désintéressés, grâce auxquels nous avons accès à des textes impossibles à connaître et à comprendre sans eux.
Sans connaître la langue de départ, on sent qu’il a parfaitement rendu en français ce tempo particulier d’un chant cadencé, comme dans nos comptines ou récitations d’enfance.

On y trouve la matière des contes ; marâtres, orphelins, belle jeune fille prisonnière, jeune amoureux écarté de sa belle. Ils sont cruels comme il se doit, le sang et la mort les habitent autant que l’enfance et l’amour. Sont-ils pour enfant ? Oui, comme il se doit pour pouvoir comprendre et supporter à cet âge que l’angoisse est le fil entre le désir et la peur, et non, puisqu’ils parlent d’horreurs que nous n’oserions évoquer sans leur biais. Sont-ils pour adultes ? Non, puisque ce sont des contes, oui parce qu’ils parlent de la vie, de l’amour et de la mort.
Écoutons :

Par monts, par vaux

Par monts, par vaux,
Un cheval gris galope.
Depuis longtemps, ma mère
Gît dans la terre noire.

Par monts, par vaux,
Un cheval gris galope,
Depuis longtemps, mon père
Gît dans la terre noire.

Et là, où gît mon père,
là, s’écoule de l’eau.
Et là, où gît ma mère,
Il y a de l’herbe verte.

J’aimerais, j’aimerais,
Aller l’herbe faucher,
Si j’étais bien capable,
D’attendre mon papa.

-Lève-toi, père lève-toi,
Ce n’est pas le moment de dormir,
Car tes enfants ne cessent de pleurer.

Nombre d’enfants en Ukraine (il est même actuellement question de déportation et de rééducation loin de chez eux) ont vu leurs parents mourir. L’angoisse de l’abandon et de la perte est toujours la plus terrible.

Chaque poème a été raconté par une personne dont le nom est indiqué à son terme, ainsi que les dates où ils ont été transmis, au tout début des années 60, ainsi que parfois le lieu.
Ainsi sont sauvegardés ces petits trésors qui font partie de la tradition populaire de régions toujours envahies et dont on n’a de cesse de vouloir détruire la culture.
Pour cette fois et concernant ceux-ci, ils sont sauvés.
La présentation du volume est comme toujours soignée, ici sur la couverture ivoire, feuilles vertes et pétales rose pâle d’une sauge qui comme un haricot magique semble vouloir gagner le ciel.

Isabelle Baladine Howald

S’en sont allés, petits pêcheurs, ballades ruthènes recueillies par Mychajlo Chmajda, traduites du ruzyn par Guy Imart, Alidades, 2022, 43 p, au prix imbattable de 6 €

Merci à :
Anna Dushak Zbijine, 01.02.1961 et 01.12.1961, Marija Drugova, 27 ans, Krasnyj Brid, 1961, Anna Bovan, Nexval’Boljanka, 1961, Maria Gribovska, 88 ans, Benjadykibei, 20.7.1962, Katarina Surin, 50 ans, Starina, 25.03.1962, Anna Kocur , Varadka, 1962, Juryy Jushchyk, 77 ans, Kolbasiv, 1961, Ancja Jabur, 63 ans, Stashchyn , 05.09.1961, Anna Baclovych, Berozovec, 1960 et 1962, Anna Bavlovych, Berozovec, 1960, Anna Dushakova, 63 ans, Zbijine, 01.12.1961, Ganna Kepeljuk, 58 ans, Vyshna Radvan’, 10.05.1962, Anna Klec, 42 ans, Krasnyj Brid, 26.12.1961, Julia Sonya, 81 ans, Vydranj, 1961, P. Sherba, qui ont transmis ces contes, ils méritent bien d’être nommés.

sur le site de l’éditeur, où l’on peut lire un autre poème.