La rubrique ‘anthologie permanente’ est aujourd’hui dédiée à la revue ‘Animal’, avec plusieurs extraits du dernier numéro daté hiver 2022.
Mary-Laure Zoss
peu à peu s’en tenir au moindre; une planche de terre — cinq mètres sur quatre au jugé — et de mots qu’on retourne ; d’ores et déjà l’expansion des sèves, tandis que répandu à verse un bleu d’azur ;
point de bascule, la phrase du merle, dès l’équinoxe modulée à voix haute; à contre-jour feuilles dépliées dans l’orme en limite ;
commencer par ébourrer la surface ; telles vieilleries accumulées au long d’un hiver ; flétrissures, résidus de fanes, sous le râteau pépins ou coques ;
puis entreprendre d’extirper — jusqu’où ces fibrilles se débinant dans la nuit du sol; voici qu’on échoue à tirer dieu sait quoi vers la lumière ;
quels secrets bien gardés — à coup sûr on aurait tiré avantage à y avoir accès ;
pour qui fait en sorte de se démêler, pas moyen de passer outre aux lignes du système racinaire, force est d’avancer comme à contre-courant
(p. 5)
*
Etienne Faure
Au trot dans le quartier, cherchant sous quel sabot renaître, te voici au carrefour, rue Traversière où les bourrins, canassons, rosses, les chevaux, ce qu’il en reste est dans les murs, les attaches de fer encastrées dans la pierre, les racloirs des souliers quand tu passes près des seuils, le mot porte cochère qui perce à jour l’eau jaune des écuries naguère jonchées de paille pour pallier l’incurie et la négligence, donner la ration dans le sac, mélange d’avoine, maïs, féverole et jurons des palefreniers assortis au langage des bêtes occupées à hennir, maudire le sort avant de ressortir ce jour-là côté rue, aux bruits des sabots de la Garde Républicaine en arrêt au feu rouge. Repos.
Y monte une fumée de mots inconnus sous le nez des enfants fraîchement nés, pareille à la crinière en or de l’enseigne du boucher, rue de la Roquette, si longtemps chevaline.
au trot dans le quartier
(p. 17)
*
Amandine Monin
Cynorhodon.
Cynorhodon de l’églantier.
Fleur fragile, parente de la rose.
Ancêtre.
Autour de la voiture, un champ entier de crocus.
Le serpolet, c’est l’herbe aux fous.
On la ramasse, elle nous ramasse on s’entend bien.
Le vent maintenant.
Le vent dans les aiguilles de pins,
je l’imite — consonne primitive — il y a tant de zones inexplorées dans la bouche. Si je réussis à rencontrer, pour la première fois sur mes lèvres, le f de forêt, le f de feuillage,
j’aurai peut-être aussi le goût des premières.
Premières bouches muettes, premières bouches dures.
Combien a-t-il fallu de forêts pour vous assouplir ?
Sur le sentier je trébuche, bouche, bûche, où es-tu demande
mon ami, ère glaciaire je réponds, reviens.
Je pense à l’organe de perception des ours.
Dans le cognitus ours, quel signal?
(p. 25)
*
Emmanuèle Jawad
un passage les bâtiments sont neufs c’est un passage
d’où convergent et clair un passage peu emprunté les
bâtiments sont vacants autant par séries de matières
et molles au sol dans un ciment frais on parcourt
l’aire des espaces flexibles ils se complexifient au fur à
mesure ils se partagent selon toutes extensives ils se
décloisonnent se couvrent de mousse végétale
zone [angles] sur des photographies bougées très
pixelisées on longe que surmonte le square s’étend
jusqu’au stade à l’endroit où se franchit la voie
jusqu’aux installations récentes de l’air par et
substances square calme relatif à climat froid la
distribution de points lumineux touche au centre
[fixe] corps contre mur dans le parc à dépôts —
plateau large tension autour des contrôles
(p. 61)
*
Christophe Manon
4.
c’est l’heure voici venir la nuit
et avec elle tout le vaste
univers et ses sphères étoilées
rêve ou bien je rêve d’où viens tu
n’es pas là mais quand reviendras
tu sans toi c’est comme si comme
quand je ne joue plus j’ai perdu pour
perdu le fil du temps c’est ainsi ne dure
pas plus qu’hier aujourd’hui ne durera
qu’un instant ou bien c’est comme cela
du moins non pas les ombres on a beau
dire beau faire c’est ainsi c’est tout
comme nous sommes ainsi faits
mais avons-nous le choix qui le sait?
j’ai peur maman j’ai peur
des spectres toujours
cachés derrière les portes
toujours des spectres
derrière les portes closes
qu’on ne peut pas ne pas
voir mais venant d’où t
u viens si comme quand
tu viendras-tu si tu veux
bien je veux ta langue
tes lèvres sur ma peau
et noyé dans ton souffle
comme en eaux profondes
quelle joie
oh
quelle joie
et de sombres vestiges
c’est de la haute voltige car
aucune caresse ne peut s’effacer
ni couvrir celles qui l’ont précédée
entendre seulement t’entendre
puis le cœur se retourna et devint différent
le fallait-il le fallait-il vraiment
(…)
(p. 92-93)
Revue Animal, hiver 2022, 154 p., 25€
sur le site de l’éditeur
Animal, une revue qui galope
Animal sort de sa tanière deux fois par an.
Un numéro de printemps sous format numérique, sur www.revue-animal.com, avec 6 auteur·es de l’écrit et un·e artiste visuel·le.
Un numéro pour l’hiver, sur papier, où les auteur·es du printemps sont rejoint·es par sept autres.
Une revue est un lieu de rencontres,
une cabane aux portes et fenêtres ouvertes
sur les mondes qui peuplent le monde.
Pas de chapelle ici, ni élevage en batteries, mais des forêts, des collines, des plaines à perte de vue.
Nouvelle revue de création, Animal suit ses instincts poétiques : allant où bon lui semble, Animal rôde, guette, vagabonde et se laisse surprendre, ouvre des pistes à explorer avec l’autre et ses mots, ses feuilles, ses poils, son souffle.
Animal propose des œuvres inédites.