Un extrait du livre de Michèle Monte, “La parole du poème”


En complément de la note de lecture du livre de Michèle Monte, cet extrait a été choisi par Ariane Dreyfus. 



L’éthos discursif est construit par le récepteur à partir des propres caractéristiques du texte dans la lecture duquel il s’est engagé (1). Il peut être redéfini à mesure que le lecteur progresse dans la lecture. Chaque nouvelle œuvre ouvre la possibilité pour le lecteur de constater la permanence ou les évolutions de cet éthos. Néanmoins, recourir à cette notion dans l’étude des textes littéraires reste délicat dans la mesure où l’éthos risque d’être rabattu sur du biographique et confondu avec une image d’auteur construite à partir d’informations aussi bien externes au texte qu’internes. Mais alors que la notion de style attire l’attention sur les choix formels observables dans le texte, la notion d’éthos présente l’intérêt de mettre en lumière que tout texte est susceptible de construire dans l’esprit du lecteur une image de son producteur qui associe l’écriture à une certaine manière de se tenir dans le monde. Il n’est pas indifférent qu’éthos et éthique aient le même radical : l’éthos montré tel que le lecteur le perçoit renvoie à une éthique de l’écriture dont le lecteur attend qu’elle s’ajuste à une situation et à un projet esthétique, et qu’elle construise un monde qui leur soit congruent. On touche ici au rapport entre éthos et argumentation, si l’on veut bien prendre celle-ci dans un sens large, qui la délie de procédures de justification et de preuve. L’éthos doit consoner avec le monde du texte. Il se manifeste aussi dans la façon dont l’énonciateur textuel se situe par rapport à différents points de vue et discours, comme nous le verrons dans les chapitres consacrés au dialogisme. Parler d’éthos, c’est ainsi indiquer que la lecture est une épreuve d’altérité : le lecteur se met à l’écoute d’une voix qui peut le séduire mais aussi l’étonner, le désorienter, et, bien sûr, parfois, l’amener à se détourner du texte. La notion d’éthos envisage ce risque comme elle insiste sur la rencontre humaine que peut représenter la lecture d’une œuvre d’art verbale. »

Michèle Monte, La parole du poème. Approche énonciative de la poésie de langue française (1900-2020), Classiques Garnier, 2022, p.171, conclusion du chapitre « L’éthos, de la théorie à la pratique ».

 

  1. à propos de “l’éthos discursif”, Michèle Monte écrit : “Nous faisons l’hypothèse que celui-ci est construit par le lecteur sur la base d’une série de marques matérielles : structure du livre, dispositif énonciatif, choix lexicaux, syntaxiques et prosodiques créateurs d’un rythme spécifique, lequel peut être relié à une corporalité de l’énonciateur textuel. Sa construction est également influencée par les textes métapoétiques des auteurs ou par leurs adresses au lecteur au sein même des œuvres étudiées. ” (extrait de l’article ” L’éthos en poésie contemporaine : le cas de James Sacré et d’Antoine Émaz”

    Cet extrait renvoie à la note de lecture du livre de Michèle Monte, par Ariane Dreyfus, note parue le 24 février 2023 dans Poesibao