Yves Boudier a choisi cet extrait d’un livre de Martin Rueff qu’il juge remarquable : « Au bout de la langue »
Martin Rueff, Au bout de la langue, Éditions Nous, 2024, 240 p., 22€
Pour saluer Martin Rueff du bout de sa langue, dans le sillage d’émotion de Jean-Paul de Dadelsen qui écrivit en mai 1957, « On vivra parce qu’il faut vivre, parce qu’il faut / Faire ce que l’on est né pour faire », cette page de fin de son livre singulier :
« Au bout de la langue on veut enfin penser que le poème fait ce que nulle autre forme de langage ne fait – il le fait parce qu’il est le seul à le faire et qu’il est seul à faire ensemble ce qu’il est seul à faire : il inscrit au défaut de la voix (il ne performe rien que l’écart de l’écrit dans la voix et de la voix dans l’écrit) ; il nomme au défaut de la présence et mécontente Hegel ; il articule où le vers déroute la phrase ; il invite à la rencontre de l’adresse impossible et de l’ouverture du sens. Ces quatre actes de la parole poétique ont deux conséquences : le poème désassujettit et dés-attache. Il dénoue en organisant sa perte continuée les attachements du sujet à sa voix, à son monde, à son phrasé intime, à son présent, à son identité. Il ne performe pas – il préforme. C’est ce qu’il fait. C’est l’intensité généreuse de son action restreinte. C’est pourquoi aussi le poème tient bien plus qu’il ne promet. Lui demander davantage serait aussi vain que déplacé. »
Quasi Art poétique, ces lignes sont extraites de « Au bout de la langue » (Nous, 2024) et choisies par Yves Boudier, en forme de reconnaissance amicale.