Liliane Giraudon, « Pot pourri », extraits (III, 6, anthologie permanente commentée et annonce)


Liliane Giraudon vient de publier ‘Pot Pourri’ aux éditions P.O.L. et ses travaux poétiques et graphiques sont exposés à Marseille.


Poesibao propose ici des extraits de Pot Pourri.
En fin d’article, on peut trouver les informations utiles et une présentation à propos de l’exposition du cipM, « Liliane Giraudon, Madame Himself et l’humour poétasse ».


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4. Le visage de Walter Benjamin l’année où il a écrit qu’il n’écrivait que pour être relu. Son œuvre avait quelque chose d’un taillis où il n’était pas aisé de dégager quelques traits décisifs le concernant (comme ça t’apaise ou plutôt console de ne pas comprendre certains passages de son texte sur la violence).
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16. La forme du cerveau dans les noix que tu as mangées la veille.
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21. Le paquet de lettres de Jean Tortel (en partie relues la veille) et dont tu te demandes ce qu’elles vont devenir quand tu seras morte.
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23. Avoir attendu soixante-treize ans pour découvrir que le mot « chagrin » a étymologiquement quelque chose à voir avec la croupe du cheval, de l’âne ou du mulet, peau dont on faisait le cuir.
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87. Le noir du Caravage. Cactée fleurie pour Caravage. Les couleurs broyées. Pour le noir : charbon + goudron + bitume + ossements carbonisés. Difficile de ne pas se demander à qui étaient ces ossements.
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151. Apparitions de mots en petits animaux polymorphes… Les formules de troupeaux dispersés que tu traques et rabats parfois en vain surtout dans le sommeil… d’autres fois ils te sont donnés mais rien sous la main pour les fixer. Écrire dans l’air, en direction du plafond, des rideaux, de la porte. Cette obscurité jamais vraiment totale. Parfois la bouche accompagne, ça murmure. D’autres fois c’est la main qui remue un peu.
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162. Se demander pourquoi quasi personne ne s’est demandé pourquoi Pound avait commencé un travail sur Lope de Vega pour après l’abandonner au profit des troubadours. Quelles traces de Lope de Vega dans les Cantos ?
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192. Frank O’Hara, comment était-il vécu cette nuit d’un 22 juillet où un taxi de plage l’a percuté sur Fire Island ? Tu l’imagines toujours en chemise blanche légèrement ouverte, dans une beauté indestructible. Que sont devenus les disques de son phonographe et la bouteille de gin dont il parlait dans un de ses poèmes.
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Dessiner soulage. Comme la grammaire. Comme l’usage des dictionnaires d’étymologie. Vérifier l’absence de l’existence du féminin pour certains mots comme apostat… immédiatement le mot castrat te vient à l’esprit et tu te retrouves à rire seule, allongée au milieu de la nuit.
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218. La main qui écrit n’arrête pas de dessiner. Comme pour se nettoyer de la ligne droite, de la répétitive manière de tracer ainsi de gauche à droite, de haut en bas. Plus l’angoisse se fait ressentir plus le geste de dessiner s’impose, comme une issue ou un remède. Parfois traces courbes et griffonnées poursuivent les lignes écrites et tentes de les anéantir. D’autres fois ne leur laissent aucune possibilité d’apparaître. Au plafond de la chambre l’imbriquable reflet des lumières du boulevard semblent mimer le combat des lignes. Suivre leur mouvement a quelque chose d’apaisant.

Ces extraits ont été choisis dans la partie du livre qui s’intitule « Ce qui s’affiche les nuits où tu n’as pas pu dormir. »

Liliane Giraudon, Pot pourri, éditions P.O.L., 2025, 20€
On peut feuilleter ce livre en ligne

Sur le site de l’éditeur :
Pot pourri est un recueil qui obéit au genre annoncé par son titre. Il s’articule en sections qui toutes touchent directement au poème. C’est quoi la poésie ? On la fait avec quoi en dehors des mots ? Ça vient d’où ? Ça traverse quel corps ? Avec des retouches, des morceaux de poèmes morts, des laissés pour compte.
La poétesse entame une conversation avec le temps. Faisant preuve d’une grande liberté de manœuvre, elle revient en arrière, retrouve les traces du travail du poème, son exécution comme ses échecs. Des documents d’archive (pages de cahiers, dessins, collages, scénarios de films jamais tournés, morceaux de théâtre injouables, tentatives projetées ou laissées en plan) s’articulent avec émotion et humour à des travaux achevés plus récents.
Pot pourri peut se lire comme un parcours, en forme d’itinéraire liant l’autobiographie à la poésie, et inséparable de la question commune à tous : « comment habiter le monde ? » Puisque le monde parle à travers le poème, le livre de poésie devient le réceptacle de traces qui s’agencent, poursuivant la traque fantôme d’une forme-mouvement appelée poème.
Le Centre international de poésie Marseille (CipM) organise une grande exposition consacrée à Liliane Giraudon, à partir du 20 septembre 2025.


Exposition du samedi 20 septembre au samedi 20 décembre 2025
Liliane Giraudon
madame himself
& l’humour poétasse
CipM, 2, rue de la Charité, 13002 Marseille
Commissaire
Cécile Marie-Castanet
Vernissage
samedi 20 septembre 2025
de 18 h à 21 h.
 
Au programme de la soirée
– Quelques mots d’ouverture,
par Michaël Batalla et Cécile Marie-Castanet
– Mallarmé Memory Boat, performance sonore
de et avec Alessandro Bosetti et Liliane Giraudon
– La poésie inflammable a-t-elle un goût ?
performance culinaire de Ryoko Sekiguchi
 
Entrée libre et gratuite
dans la limite des places disponibles.

Vrac d’une vie où la poésie joue au centre d’un écriredessiner ininterrompu, l’exposition madame himself & l’humour poétasse, orchestrée par Cécile Marie-Castanet avec la complicité de Giulia Camin et l’appui de la bibliothèque du Cipm, livre un large aperçu des travaux et des jours de la poétesse Liliane Giraudon.
« Une visite de l’écriredessiner », tel pourrait être aussi le « non-titre » de cette « non-exposition ». Et l’on ajouterait : « jusqu’à saturation ». De même : « Un coup d’œil sur un coup de dés » ; « à côté du miroir » ; « dans la cuisine de Liliane Giraudon », là où chauffe jour et nuit le chaudron dans lequel bouillent corps et voix, textes de tous poils, cahiers, carnets, revues, livres, poèmes, pièces de théâtre injouables : toute la langue, toute la vie, dans tous leurs états, à toutes les échelles.
L’ensemble présenté – pièces en tous genres et morceaux choisis dans les malles et les armoires de la création continue – est réglé par la conjugaison griffonnée des corps et des mots entremêlés dans les dessins et les écritures saturées. L’installation n’a de cesse de rejouer sa logique de l’absence de logique au fur et à mesure des montages, des constellations agencées dans un parcours sans commencement ni fin. Les divagations se succèdent en une vaste fresque ravagée, parmi les écritures spatialisées, montées, démontées, « bordélisées » à souhait, au milieu des reflets d’une Creative method accidentéesans équivalent.
 Montages, collages, caviardages et enluminures, prélèvements et détournements : la libre gestuaire de l’écriredessiner est là. Et tous les coups sont permis dans cette polyphonie. C’est un monde. C’est le monde dissonant de Liliane Giraudon.
 
Liliane Giraudon : une creative method accidentée, Faire part n° 36-37, 2017.