Laurent Fourcaut, “Un morceau de ciel”, lu par Michael Bishop


Michaël Bishop découvre ici ce Morceau de ciel de Laurent Fourcaut et lui offre la traduction d’un de ses poèmes



Laurent Fourcaut. Un morceau de ciel. Tarabuste, 2023, 191 pages, 16 euros.


Après les récents Dedans Dehors (2021) et n’étaient messieurs les bêtes (2023) – l’œuvre poétique de Laurent Fourcaut remonte déjà à une vingtaine d’années – ce dernier recueil reprend la belle et exigeante obsession du sonnet, contemporanéisé, ironisant, funky, choisi pour le défi de ses contraintes comme pour l’élégance de ses compressions. ‘Morceau de ciel’, signe tout de suite d’un certain sentiment à la fois d’élévation, de désir, d’inventivité accomplissable et du peu, d’une absence de prétention et d’espoir même dans un monde cru menacé, dominé par l’argent, le matérialisme, une indifférence éthique et spirituelle, au sens large de ce terme. Ceci dit, l’energeia qui sous-tend le recueil, si elle trahit une certaine mélancolie, le désarroi d’une voix faisant écho à ce sentiment bonnefidien que ‘l’imperfection est la cime’, reste cette étreinte – ce sera fatalement le geste spectral, frêle et tâtonnant du poème, ombre-lumière portée d’un à-venir imaginable – d’un ‘divin et inhumain monde réel’ (181), monde qu’occulteraient la désinvolture, l’absence de grâce, de bonté, de conscience que ne cesserait de déplier une grande partie de l’activité humaine. Et ce poème, ce contre-geste, avec sa contre-doxa, si à certains moments il semble pris dans l’impulsion d’une dérision le réduisant à une résistance – celle d’un Christian Prigent ou même d’un Jean-Luc Nancy – doit, c’est sa responsabilité, sa valeur, son sens résiduel, se voir comme ce que Laurent Fourcaut appelle un ‘temple’ (ibid.), templum tel que défini par l’augure néoromain qu’est le poète, fane aurait dit Keats, de ‘l‘indéfait’ dont rêve Bonnefoy, lui-même luttant avec le paradoxe de sa propre parole.

Sans lyrisme, sans la louange qu’aurait pu offrir l’ode, sans perspective sociopolitique renouvelée, sans manifeste élan écologique transcendant, la révolte et une tonalité de complainte laforguienne pourraient être considérées comme souvent dominant le recueil. Toutefois, l’osmose ressentie entre poème et terre s’avère plus forte, plus insistante. Et oblige à ‘répondre à ce qui est’, comme écrirait Jean-Paul Michel, non seulement en ‘revitalisant’ (ibid.) les formes choisies, comme l’exige lui aussi le poète d’« Un feu de ces feux – ne savoir », mais en s’adonnant à un faire, un poïein intrinsèquement ragaillardissant, car fondé sur la liberté d’expression, la liberté de voir-sentir-faire autrement. En résultent des flashes de tendresse, de nostalgie, un refus d’acquiescer, une provocation, le sentiment même d’un rêve mourant mais pour lequel se battre reste un devoir. Et le plaisir du texte compris comme site à la fois d’intransitivité, d’un certain ludisme, et d’imaginable et improbable et haute valeur transitive. Un défi relevé avec une vigueur à laquelle Laurent Fourcaut lui-même n’aurait peut-être pas pensé pouvoir accéder?

Michaël Bishop   

Deux extraits et une traduction en hommage :

CHORÉGRAPHIE
Plus longs les jours on voit les gens sur le trottoir
sortant du métro curieuse lumière blanche
crevée par les néons semble qu’aucun butoir
n’entrave le ballet muet dont le flux tranche

sur le décor installé sur ses accoudoirs
les humains qui se bougent ont tous l’air de tanches
rebutées allant à des buts aléatoir
es spectacles dont ils ne tiennent pas le manche

beaucoup portent des sacs ressemblent aux fourmis
charriant leur fardeau c’est donc kif-kif hormis
le fait que leur charroi a un sens dans le monde

tandis que les passants sont pris dans les filets
de super-prédateurs aussi méchants que laids
orchestrant en lousdé une danse où ça gronde

***

                    Dira-t-on après ça que le sonnet vétuste
                    Est impropre à narrer ce réel qu’on déguste?

UNE CHAROGNE

Rouvrant la maison fermée depuis trois semaines
vous êtes assailli par une affreuse odeur
de bête morte – dans la cave son domaine
peut-être ? Vous fouinez en circonspect rôdeur

quelques pommes pourries : est-ce qu’on se démène
pour si peu ? bref chou blanc et aucun décodeur
pour aider votre quête or l’odeur peu amène
persiste bel et bien et s’incruste en voleur

Le lendemain n’y tenant plus aux catacombes
vous retournez : de qui quoi sont-elles la tombe?
sur l’ancienne fosse septique vous haussant

vous découvrez raidi sous la lampe électrique
un chat roux gisant dans un état très critique
il est mort et bien mort que c’en est indécent :

le ventre déchiré est grouillant de vermine
le cou coupé est noir il n’a pas bonne mine
– tremblant de dégoût vous le fourrez dans un sac

puis au fond du jardin vous creusez une fosse
où vous l’enfouissez écrasant une grosse
larme – vous n’aviez pas appris ça à la fac


                         Will people say later that the ancient sonnet
                        Is unsuited to telling the real we sip at
                                                                          
A CARCASS

Opening up the house some three weeks locked up
you’re knocked flat by a frightful stink of beastly death
– down in the cellar its probable realm perhap
s you poke about sort of stalker of utter stealth

amongst apples rotting : does one get worked up
over so little? no luck and the very least wealth
of help aquesting while the stench rises up up
furtively embedded utterly unhealth

Y next day not caring for such a catacomb
you head back down whose what’s is this revealèd tomb
up onto the old septic tank hoisting yourself

you uncover stiff as a board beneath the light
a reddish cat laid out in a critical plight
dead doubly dead to the point beyond decent ’elf

the belly torn apart and swarming with vermin
the neck is slit open black and not good lookin’
– shaking with revulsion you pop it in paper

then far away in the garden you dig a pit
where you brush off a good fat tearful burying it
– never had you learned that in college’s caper