José Angel Leyva, “Les trois quarts, Tres cuartas partes”, lu par Isabelle Baladine Howald


Isabelle Baladine Howald ouvre pour nous ce livre du poète mexicain Jose Angel Leyva édité de façon exemplaire par Alidades.


 

José Angel Leyva, Les trois quarts, Tres cuartas partes, Alidades, éditions bilingue, traduits et présentés par Cathy Fourez et Jean Portante, 2024, 63 p, 7 € seulement.


Le poète avec une balle dans la tête


Jose Angel Leyva est un poète mexicain né en 1958, qui a beaucoup publié et a de nombreuses activités littéraires dans son pays mais est peu traduit en France sauf un livre à l’Oreille du loup. Alidades publie Les trois quarts, traduits par Cathy Fourez et Jean Portante, qui signent une belle postface nous permettant de mieux connaître Leyva et de mieux le comprendre.
Ainsi sans leurs éclaircissements, le sens des superbes vers du premier poème nous échapperaient, or il s’agit de vers de Leyva dans un poème de Gamoneda, extrêmement réussi, que Gamoneda lui offre. Quelle belle idée, généreuse, d’écrire un poème avec les vers d’un autre poète, le portant ou étant porté par lui.
On sent une poésie forte, très solide, très ancrée dans l’idée de l’homme et de sa terre, me semble-t-il, sans illusions, très inquiète comme cela apparaît dans le poème Les trois quarts qui inspire le titre du recueil, relatant des faits humains et enfantins… très cruels comme dans le poème La chienne.
Cette poésie est celle du monde d’aujourd’hui, comme dans Migrants ou dans Le poète a une balle dans la tête « Dans quel pays suis-je ? … Dans quel pays    dans quelle pays ? Répète la balle logée dans sa tête » (p. 13), on n’a hélas que l’embarras du choix, la Colombie ou Bagdad, l’Ukraine me venant ici, mais ailleurs aussi, ailleurs encore, ailleurs toujours. Un autoportrait s’esquisse dans Miroir, mais comme en creux « je ne peux cependant pas attester/que derrière les épaules/il y a un dos dans le vide » (p. 17).
Ces hommes vivent sur leurs terres, bercée de fleuves et d’eaux, prennent un café ici ou là, voient les pierres rouler, regardent la laideur des villes qui pourtant toutes recèlent une beauté (Ville p. 37). C’est comme un fort mal de tête persistant, cette douleur dont parle Leyva, douleur qui n’en finit pas, à force d’assister aux combats du monde, à la haine entre les hommes, mais soleil et lumière parviennent à passer entre les gris, les noirs, la ferraille, le sang.
Poésie terrienne et terrestre, poésie humaine, poésie ancrée. Celui qui manque aux « Trois quarts » est peut-être comme l’indiquent Cathy Fourez et Jean Portante, le silence.
Ces quelques poèmes en effet sont remplis du bruit de la vie des hommes. Mais pour le décrire il faut un léger retrait, un silence entre deux vers, une respiration, le temps d’un regard.

Alidades a comme toujours fait un travail soigné, je ne m’en lasse pas, et les prix sont aussi ajustés que possible.
Une raison de plus d’ouvrir et de lire Les trois quarts, d’où l’on ressort secoués comme il le faut pour rester éveillés, malgré la peur, et proches aussi de « la nouveauté du soleil » (p. 33).

Isabelle Baladine Howald

José Angel Leyva, Les trois quarts, Tres cuartas partes, Alidades, éditions bilingue, traduits et présentés par Cathy Fourez et Jean Portante, 2024, 63 p, 7 € seulement.


Extrait
Le poète a une balle dans la tête


Il pensait que la mort ne faisait pas mal
mais il a senti une explosion de douleur dans la tête
C’était un jeune impétueux de Colombie
Homme   enfant   vieillard

Il aimait risquer son cœur à la roulette
et s’amuser à donner du sens aux mots
et mettre un nom sur les événements
qui pour la folie et l’horreur sont innommables

Il s’est mis à calibrer les lettres du revolver
Il a mis son gilet pare-balles
Et il a loué sa vie comme garde du corps

Dans quel pays suis-je ? s’est-il dit
lorsque la balle lui a troué le front
et s’est logée stupéfaite dans sa tête

Jamais il n’a perdu connaissance
ni l’image vécue de l’arme
Dans quel pays suis-je ? demandait-il aux curieux
le garde du corps couché sur le dos
avec des yeux de poète
                                          de martyr
                                          de disparu
                                          de suicidé

Où est-ce que je survis ? se demande
cet homme lorsqu’il écrit
et lui pèsent les vers comme du plomb
et lui reviennent les noms de la mort

Dans quel pays    dans quel pays ?
répète la balle logée dans sa tête
                                                                 


                                                          A fausto (p.  13)