Jean-Claude Leroy permet ici aux lecteurs du site de découvrir un jeune auteur, Siméon Lerouge et une maison d’édition sarthoise.
Siméon Lerouge, Le Semainier (post-scriptum de Bertrand Lançon), édition La plume de Léonie, 128 p., 2024, 13 €.
Au regard du titre, on ne s’étonnera pas si l’on a affaire à une sorte de journal méticuleux, ici recueilli selon un mode bien déterminé, des poèmes de 7 vers, chacun des vers comprenant 7 syllabes. L’auteur précise qu’il a écrit un vers par jour et, comme pour le haïku japonais, « le semainier est un poème contemplatif qui observe la nature et note le passage des saisons ».
C’est un quotidien qui s’écoule ainsi, au fil des pages, décomposé par l’emploi du temps, par le cadre de vie, l’humeur de l’air. Sa notice, placée en fin de volume, nous indique que Siméon Lerouge vit de petits boulots (veilleur, réceptionniste, etc.), qu’il lit et qu’il jardine. Aussi le jardinage occupe-t-il notamment les heures, et les poèmes de ce recueil s’arrêtent volontiers sur les travaux en cours, relevant une fonction utile, qui est aussi une concrète sagesse. Mais c’est aussi le temps du regard qui est inspiré en une presque ligne, d’un seul trait, sans trop d’émotion, lapidaire à souhait, comme pour se rappeler, empiler les strates qui font l’épaisseur de l’infime des vies. Exercice de modestie implacable, désengagement radical, quand une existence accepte de se résumer à l’énumération des secondes. Si la couleur de chacune d’elles diffère de toutes les autres, le poids en est le même, l’égalité est absolue. Chacune disparaît derrière sa propre action, derrière sa conscience ; nommer constitue l’effacement ultime. Dans la nue solitude de l’absence, l’œil s’accroche au décor comme il s’accroche à la durée, l’âge n’est plus qu’une question de repli serein, une mesure des choses.
« Semaine 13
Points verts des bourgeons naissants
Projections bleues du printemps
Ciel au matin immobile
Pelage épais des champs d’herbes
toit tambouriné de pluie
Seul à seul le temps s’étire
Le goût piquant de l’air frais » [p. 68]
« J’écris d’un trait puis m’en vais » [p. 46], grand départ ou grand écart nécessaire pour s’observer relié à l’ordonnancement des choses. Non pas fioritures, à chaque fois d’un seul geste comme d’un seul souffle, le résumé, le fragment de sens arraché à la confusion d’une journée, d’un temps qui n’arrête pas de s’allonger et fait dire au poète regardant : « Seul à seul le temps s’étire. » [p. 68]
Autre originalité de la démarche, les poèmes sont écrits sous une forme calligraphiée, déclinée dans des tentatives diverses, la fantaisie s’appliquant là quand elle n’a pas droit d’exister dans le poème proprement dit, cantonné à la pure factualité. Ce qui donne deux lectures possibles pour tous les textes, oserait-on dire : une pour l’œil, une autre pour l’oreille ? L’orchestre des sens joue cependant la même partition, froide et remuante à la fois, où le lecteur devient à son tour le regardeur, après avoir vu.
Ce premier livre de Siméon Lerouge fait l’effet d’une surprise. Ambitieux dans sa détermination, Le Semainier est publié par une jeune et sympathique maison d’édition sarthoise, La plume de Léonie.
« Semaine 48
Tilleul, érable ébranchés
Courant coupé, mangé froid
Éventré mon sac de livres
Bois mort, massif effeuillé
J’aperçois un sanglier
Un bol d’air avant d’écrire
Zazen face au radiateur » [p. 34]
Jean-Claude Leroy
Siméon Lerouge, Le Semainier (post-scriptum de Bertrand Lançon), édition La plume de Léonie, 128 p., 2024, 13 €
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