Jean-Pascal Dubost, “La Reposée du solitaire”, extraits


Entre les murs du bureau et la forêt de Brocéliande, comme une vigie, se nourrir de la naissance du jour.


 

Jean-Pascal Dubost, La Reposée du solitaire, éditions Rehauts, 2023, 80 p., 16€ –sur le site de l’éditeur


Un enchâssement de lieux crée mon lieu de travail : en Brocéliande, dans la forêt, dans la maison de vie, dans mon bureau, à mon bureau ; une mise en abyme qui me met en abyme. Je m’engouffre dans cet abyme. Un enfermement volontaire (le bureau) au cœur d’un lieu ouvert (la forêt) ; ça génère un sentiment d’isolement profond, d’ermitage intérieur, de retrait délicieux. Alors, quelque chose est là qui respire, tout près de la solitude du bureau, quelque chose d’enfoui dans la nuit et dans la forêt, qui fera le jour sur l’évènement de la matinée ; c’est instinctif et sensitif. »
(p. 9)

 « Mi quatre-murs mi-forêt, voici mon reclusoir, mon requoy, mon repaire. Aux solitaires : reclusoir ; « pource qu’en ce lieu de requoy, tout est plein de livres. (Clément Marot)
(p. 14)



« Je ne suis pas philologue, mais j’ai l’enthousiasme grand à plonger dans l’étymologie des mots, j‘ai l’impression de partir alors en aventureuse expédition dans un monde fantastique en allant à rebours du sens en cours d’un mot, en me dirigeant vers son origine, en regardant son évolution, ses transformations voire ses déformations, ses usages, quelquefois contradictoires, et bien souvent, ce faisant, je rencontre des mots qui ont disparu ; et de ce, m’en merveille durement. « L’étymologie, au sens moderne, c’est donc la biographie d’un mot. » (Kurt Baldinger)
(p. 16)


« Je vis dans une forêt de livres. Quand l’écriture est en branle, il me semble que la forêt est en remuement ; j’entends respirer, murmure, grogner ; une pleintée de présences s’active : livres, auteurs, phrases, mots ; une sarabande sauvage plutôt désordonnée qui peu à peu pénètre le corps et remonte jusqu’à l’esprit »
(p. 22)



« Ensauvager la langue est de toute évidence à quoi j’aspire ; assavoir revenir d’où ça vient, de silvaticus, qui vit dans la forêt ; qui vit en liberté, non domestiqué, non apprivoisé ; concevoir la phrase ainsi ; des mots échappant au monde civilisé. »
 « J’écris le poème dans une langue fugace, fugitive, fuyante ; dont je sais qu’elle ne me vaut que peu de lecteurs. Par ce fait, je deviens imperceptible »
(pp. 40 et 41)



Écrire en accompagnant l’arrivée du jour est la manière de se connecteur au monde ; je le sens monter en moi comme la sève monte dans le chêne au printemps. Chaque jour consacré à l’écriture est un bouleversement, ‘ne rien lire, ne rien écrire, qui ne soit vérifié par la sensation, intime, d’un bouleversement’ (Agnès Rouzier). Cette relation intime au jour qui vient et au monde avec lui. C’est parfait, les conditions sont réunies ; je suis bouleversé par l’arrivée du jour. En état de perception permanente.

En état de réception permanente
(p. 56)



L’écriture est une rétrospection, suivie d’une rétro-projection, ce mouvement libère une formidable énergie.

Non, pas tout à fait : c’est la phrase qui produit le travail de rétrospection. Elle est derrière soi, tapie dans les fougères d’un passé épais ; écrivant, on aspire à la trouver, et à la projeter en avant, en pleine forêt, la lâcher dans une vaste liberté
(p. 61)


Jean-Pascal Dubost, La Reposée du solitaire, éditions Rehauts, 2023, 80 p., 16€ –sur le site de l’éditeur