Marie-Hélène Lafon, Éric Courtet, “ils restent”, lu par Jean-Claude Leroy


Jean-Claude Leroy traverse ici pour “Poesibao” ce livre qui mêle textes et photos autour du rapport entre père et fils.


 

Marie-Hélène Lafon (texte), Éric Courtet (photographies), ils restent, éditions Isabelle Sauvage,  92 p. 2023, 25 €


« Il dit qu’il n’a jamais appelé son père papa. » [p. 73]

 

Les éditions Isabelle Sauvage publient des recueils de petits formats, mais aussi dans sa collection « Ligatures » des ensembles littéraires et photographiques de plus amples dimensions, le dernier en date, ils restent, est signé de Marie-Hélène Lafon, romancière et nouvelliste, et Éric Courtet, photographe.

C’est le rapport, ou non-rapport, entre père et fils qui est ici mis à nu dans une série d’images en couleur d’une grande et solennelle sobriété. Un évident silence, presque une impossibilité de (se) parler, paraissent ici soulignés à chaque page. Des êtres intériorisés, manifestement taiseux, que le lien générationnel sépare autant qu’il les rattache. Des silhouettes, des regards sans objet, comme tournés vers soi, et aussi des arbres témoins les uns des autres. Le rapprochement entre des images d’arbres et des images de père et de fils grave parfaitement l’inéluctabilité de la distance et, partant, de la solitude de chacun.

Les textes de Marie-Hélène Lafon sont minimalistes, des empreintes de confidences qu’elle partage et qui, là aussi, s’accordent avec un silence dont l’audace consiste à tout juste ne plus se taire. L’exercice est plus convenu qu’il ne le faudrait sans doute et le livre se visite presque davantage qu’il ne se lit. L’éditeur ayant fait le choix d’un dos collé avec un papier trop raide, on ne peut ouvrir tout à fait le livre, sauf à le détruire, c’est fort dommage.

Si les photographies ont été exposées à la galerie Pierre Tal-Coat à Hennebont, près de Lorient, les textes seraient à écouter, lus par quelque corps dans le tissu d’une voix qui ne demande qu’à être restituée. La puissance évocatrice est ici liée à la sécheresse stylistique, rien ne peut dépasser, les faits sont les faits, ils n’ont pas à se commenter eux-mêmes.

Le titre, ils restent, sonne comme une antinomie douloureuse, un refus de l’entraînement opéré par le roulement du temps. Il interroge. Nous restons là, suspendus en dehors des rapports qui ne sont pas les nôtres, la page ne se franchit que par déchirure.

Jean-Claude Leroy

« Son père est pour toujours jeune sur la photo, plus jeune que lui maintenant. L’année où il est devenu plus vieux que son père, pendant plusieurs semaines après la date de son anniversaire, il a eu le sentiment d’être immortel. Ensuite les choses sont rentrées dans l’ordre et il a pris grand plaisir à afficher chez lui, pour la première fois, dans l’entrée, une photo de son père encadrée par ses soins. » [p. 69]

Marie-Hélène Lafon (texte), Éric Courtet (photographies), ils restent, éditions Isabelle Sauvage,  92 p. 2023, 25 €