Henri Droguet, poèmes inédits (III, 6, inédits)


Henri Droguet a bien voulu offrir à Poesibao ces poèmes inédits, parmi les tout derniers écrits. Mer et vent !


 

VERTIGE

Matin rayon d’or léger commencement
du commencement
l’aboi rauque jaune des remorqueurs
le gros soleil embrase des hectares ras tondus
une arrière-garde de nuages s’effiloche
dans l’aube les basses ronces et les branches
quelques freux enroués décortiquent désossent
l’autre vent l’implacable s’époumonne
récidive bouscule évince et dégonde
un arbre déjointé se désordonne
un hibou discret rit dans les pénombres

le ronflement furieux des marées et des trombes
désaffuble n’importe quoi
                                          n’importe où
le quelquefois fastidieusement grand vide
platitudineux   le désert   l’ombre neuve (ou pas)
le vertige de la mer dépliée générique
ouverte froissée creuse crue fermée
grand fossé bleu à sa bougeotte   dans la nuit sans rivage
où coeur plein d’orages l’enfant
voit pour de vrai des flocons vermillon verts chou
couleur de paille ou de verrou et pour finir
tout à fait noirs
mais celà n’est qu’un songe comme toujours à droite
le menu fleuve côtier qui ne peut être vu
un long nuage saumonné
et le pétillement d’une grosse et seule étoile
un autre nord
                      et la fête c’est
entendre voir -ou presque- chaque chose neuve
et puis toi
                c’est tout

21 janvier 2025



POURPARLER

Incessamment blafard bavard vivant le vent noroît
dans le grand silence la fraîcheur et le trouble
d’un séjour éloigné se lève
éparpille quelques oiseaux vifs et roux
les passereaux qu’impacte l’artériosclérose

le flot mouvementé à sa patauge
le bouillonnement sonore inarticulé
du vieil océan père de toute chose
les parfums de saumure des rivages   éboulis  brisures
le ciel insuffisant déblanchi se réverbère aux mares

les talus et les prés sont froids
le soleil se jette aux lisières à l’eau
les jardins vers la mer et bientôt le Styx fleuri
la ville les toits l’opacité lointaine
la ruée des ménades qui déchirent dispersent
(mais ni plus ni moins c’est un rêve)
les importants depuis toujours déjà morts
et l’ignorent

encore lui l’enfant quelqu’un / n’importe qui
déchiré rit pourtant dans les trains d’averses
écoute une parole plus vraie que le monde ou lui-même
bidouille ses théologismes   se tient en repos
dans le grand tapage et grabuge urbain
fait halte s’émerveille aux pervenches aux aubépines
aux longs pédoncules des ombellifères
sort de ses poches à malices un arbre battu
quelques bouts de ficelle et des ombres    
murmure
« Elle mon ombre est déjà là
  qui m’attend   j’y vais … »

31 janvier 2025



N’IMPORTE OÙ

Le piéton l’ignorant scribarbouilleur
sait tout ce qu’il ignore   les caprices du vent
dans les voiles   le jadis ciel absent échancré hersé
guenille et roncier grand ouvert
sur l’opaque étang des fins d’automne
les escarpements des grès violets fauves et rouges
(préhistoire naturelle)

toutes les pluies il les traverse à tout va 
l’impatience ainsi d’une averse  
le long mufle des nimbus disymétriques intérimaires
la giboulée cascadante qui mitraille longuement
le monde où sont les lichens les orges les anémones
les centaurées les peupliers d’or et les souches
des sécherons jaunets déjà vus quelque part

il s’éberlue   devant lui les routes
vont partout n’importe où
dans l’ouest un cor/
moran cul / bute à l’ombre noire
disparaît reparaît s’essore
des chiens clabaudent vers la lune rousse
deux corbeaux rament contre le vent qui ronfle
décarcasse et bouscule un oiseau transi
un hanneton pioché s’en va mourir
(il n’en sait rien) sous les topinambours
et Dieu quelque part l’enfant perdu percé cloué

4 février 2025



PETIT RIEN

Au début la nuit ombre et cendre quelque chose
un bruissement ténu d’étoiles
un orage charrivarime à quoi grogne
au fond du ciel à droite
par dessus les toits les prés fleuris  
argiles bleues et roses   collines rincées fleuries jaunes 
monts blanchis   nuages parpillés
un vieux moulin ronfle au vent nouveau
sur la falaise en voie d’effondrement

une trombe brève étrille dégingande hache en passant
quelques cyprès longilignes
herse une jonchée de broussailles
la grêle vacarme esbrouffe crible des arpents vides
les souffles parfumés poly
phoniques tournent dans les ombres
le beau silence égaré d’un tas de siècles  
la lisière vague bleue le jusant la mer dernière
et vide aussi   babioles   l’enfant piéton
chante pour l’hiver

28 février 2025



NI PLUS NI MOINS QUE

C’est la nuit banalement clairière et mélancolie
le gloussement dédoublé menu de l’oiseau
hurluberlu hulotte ou chevêche ou
ni l’un ni l’autre
une rafale décousue brasse et carde
la transparence à l’aube de la dorée mirageuse
lumière du temps perdu révolu
qui houspille dans l’Est un pan de ciel émondé crépitant
le grand dit-on tour millimétré minuté des astres
trucmuche et saint frusquin pointillé sauvage
soupe à vertige à rien

la lune cabossée frange d’argent pâle une cressonnière
où les grenouilles entament leurs concerts
plus que post-post modernes

les brises tiédissantes plissent déplissent
les eaux calmes et glauques des bassins ronds et carrés
bordés de socles désertés et plus loin
sous les ombres d’une fûtaie de chênes pédonculés
de hêtres communs et d’ormes rouges
où ronfle à son repos la sauvagine
Diane et son arc s’ébréchent chaque jour un peu plus


Puis c’est l’heure bleue
du charivari périphérique éloigné suburbain
le soleil couleur de vin   petit rien quelque chose
le lamento le déchant ostinato doux des oiseaux muchés
une hulotte rit un corbeau s’enroue
des pies jactent aux jachères 
un geai pour de vrai virevolte    
des abeilles zonzonnent sur des fruits tombés qui blettissent

À la va vite l’embardée sitôt interrompue
du vent qui s’exténue tergiverse éternue
sarcle un long jardin gris
rase le grand remous laitier la laine effilochée
les taffetas flanelles tarlatanes les cambouis
meringués détissés des cumulonimbus
au large du large l’océan fabuleux chaos jonché vitrifié      

(quelques âmes intempestives passagères sont entrées
côté jardin   se sont éloignées côté cour
sans laisser de traces)

Endommagé perdu malmené hors d’âge hors sujet 
le vague taiseux piéton ni bon ni mauvais
à sa rôdaille a été là  
par le travers échelonné confus des haies restantes
l’or feuilleté des moyens petits et grands arbres
le chaos jonché jeté bas des aulnes plus ou moins noirs
-plutôt moins- où se frôlent clandestinement
quelques animaux circonspects
il évite un médiocre plan carré de tétragones
il balbutie bégaie murmure et chantonne
pour les aveugles et les sourds

toi seule toi   berceuse encore
et douceur l’entends-tu ? À dire à redire


13 juillet 2025



RÊVÉ SOUS UN NUAGE ARRACHÉ À LA NUIT

Un aigu dru bourru nuage s’étire et masque
au passage et dans le désordre
la nébuleuse du Crabe   le Lynx   et Fomalhaut
c’est la fraîche présumée blanche ou noire ou quoi
que ce soit dernière nuit    le refuge au manque

puis c’est à n’y pas croire sortie du bois
lumière crabouillée déjointée   l’aube
et le ciel d’équerre et parfait
poudré de bleu de rose et d’or
le confus raffut des rafales qui s’emmêlimêlent
l’embardée lointaine du reflux
le babil sobre et disloqué da capo
des oiseaux ni vus ni connus muchés
au profond des forêts neigeuses
que la demi-lune verte éclabousse
le cri rauque arraché au-delà du vertige
d’un rapace invisible
un merle ivre pépie dans un eucalyptus
l’alouette turlutte elle oublie le noir le silence l’absence
                             et l’oubli
la très de moins en moins commune
piéride du chou se dégingande aux sauges
un bourdon s’enfourne aux passeroses

la marée montante ronflante maugrée se brise et chuinte
douceur et blessure   chimère cabrée noire la vague
cogne le cap couleur de miel et plus loin dans l’ouest
se brise et chuinte sur une plage étroite et pavoisée
accidentelle une averse à grands patatras
rince des arrière-pays parfumés lilas cytises chélidoines
quelques arpents d’avoine
un mur de lierre et l’or battu des blés jonchés
un peuplier carolin de légende
il y a quelques buissons pétrifiés sur la gauche
au lieu-dit Épaule de la mort

les mots égarent celui locataire à terre
hors de soi hors-sol qui les perd
                                                   et les trouve

21 août 2025

©Henri Droguet