Guillaume Decourt publie Un Temps de fête, livre bien nommé qui invite le lecteur à rire de ce monde sinistre.
Rions de ce monde sinistre !
Smoothies
Les intellectuels n’apprécient guère les smoothies. C’est une chose regrettable car il s’agit d’une boisson pour gens d’esprit. Il en existe pour tous les goûts. Du smoothie Spinoza – vanille, datte et noix de cajou – au smoothie Nietzsche – orange, banane, avocat – en passant par le smoothie Wittgenstein – aux fruits rouges et lait d’amande –, sans doute le plus diététique. On le recommande.
p. 14
Chemise hawaïenne
Je suis quelqu’un d’autre lorsque je porte ma chemise hawaïenne. Quelqu’un de réfléchi, qui prend de la hauteur, quoi qu’il advienne. On pourrait me dire que les troupes russes ont envahi la capitale, cela ne me ferait rien. Je laisse s’ouvrir sur ma toison pectorale de superbes fleurs exotiques. Je me sens bien. Ma chemise hawaïenne et moi, nous ne faisons pas de politique.
p. 18
Wah-wah
Je sors de ma veste l’harmonica que tu m’as offert pour mon anniversaire. C’est un Marine Band 1896 d’origine. À force de pratique solitaire, je peux en altérer les trous avec ma langue, tirer un si de mon la, porter le tout sur mon do avant de donner un peu dans le wah-wah. Imagine. Nous sommes loin. Il fut un temps où je ne te connaissais pas. Nous nous tenions par la main dans les rues de Laredo.
p. 46
Samedi matin
Il n’est pas si grave de passer à côté des choses. La plupart du temps, elles ne s’en aperçoivent pas. Sinon, elles ne nous en tiennent pas rigueur. Notes pour un samedi matin : « se désintéresser un peu de soi. Ne pas poser la question du bonheur. Apposer sur tout le bonjour et l’adieu d’un regard. » Je garde toujours un morceau de pemmican sur moi pour le jour du grand départ.
p. 47.
Formule 1
Je porte une montre chronographe de pilote automobile. C’est un hasard. Je n’ai pas le permis. Un jumeau pleure, l’autre rit. Il est trois heures du matin. Je vous berce, malhabile. La télévision diffuse un documentaire sur la Formule 1. McLaren contre Ferrari. « Dodo l’enfant do… calmez-vous mes petits cocos. » Il pleut. Ayrton Senna est en pole position au Grand Prix de Monaco.
p. 80
Cigales
Sokratis, le jardinier. Il fume une cigarette, arrose le basilic, donne un sourire à nos jumeaux, répète : « Qu’est-ce que nous pouvons dire ? Qu’est-ce que nous pouvons faire ? » Ce matin, j’ai cru poser le pied sur un serpent mais c’était un lézard. Nous invoquerons le destin. Nous parlerons du hasard. Du soleil et de la mer. Des chats sauvages. Des cigales en hiver.
p. 87
(ndlr. choix en écho avec les poèmes de Fabienne Raphoz)
Guillaume Decourt, Un Temps de fête, La Table ronde, 2024, 14€