Fabienne Raphoz, « Infini présent, l’insecte » [anthologie]


Dans ce livre dédié aux insectes, Fabienne Raphoz loue ‘dans le poème / une vie plus vieille /que la [s]ienne’.


 Ode aux insectes    

                          


HÉMIPTÈRES
                                                           Cicadidae

elle avait l’oreille fine
                                    Margaretta Morris

patiente
            accordait
                        ses tympans
                                    aux cymbales
                                         périodiques

1817                            trouve
1834                            confirme étudie rédige vérifie
1846                            annonce

                        j’ai tendance à croire qu’il existe deux espèces qui
                               diffèrent par leur taille et vivent 17 ans sous terre

                                    publie

1851                John Cassin la lit la pille & s’honore

                        Magicada cassinii

                                    [Cigale périodique de Cassin, Magicada cassini (Fisher, 1752)]

*

                                    HÉMIPTÈRES
                                                           Pentatomidae

Elle a l’œil expert
                                    Cornelia Hesse-Honegger
                                                           Sur le terrain je me perds dans l’animal

            la punaise a sa préférence
            la peint pour les couleurs
            comme Albers les carrés
            révèlent l’individu dans l’espèce

            un jour découvre l’anomalie
            là sur une nébuleuse
            près de Leibstadt en Argovie
            infime anomalie à l’œil nu

            bubon noir sous la lunette
            pronotum cabossé
            elle peint fait jaillir l’invisible
            à l’échelle d’un désastre
            repart sur le terrain

Sellafield         La Hague         Hanford          Three Miles Island       Tchernobyl

                                    [Punaise nébuleuse, Rhaphigaster nebulosa,(Poda, 1761)]

•Texte d’introduction de Fabienne Raphoz (extrait)
C’était un jeu des 7 familles particulier, on ne demandait pas, « dans la famille Untel, je voudrais la mère … », mais par exemple, « dans la famille des Papillons exotiques, je voudrais le Priam ou Pegasus ».
Et le voilà posé là, sous mes yeux, ce jeu, plus de cinquante ans après. Il a été, comme Croc-blanc, de tous les déménagements.
Je me rappelle aimer tout particulièrement prononcer des mots incompréhensibles donc merveilleux comme Arachnides et Myriapodes, Carpocapse ou Pyrale de la pomme, je me revois aussi rester longuement en suspens sur la carte du Cerf-volant, d’ailleurs passablement abîmée.
Il avait été édité par les éditions Nathan sous le titre «Papillons et Insectes » — comme si les papillons n’étaient pas eux-mêmes des insectes — et on y découvrait donc aussi des araignées et des mille-pattes— comme si les araignées, qui en ont huit de pattes, et les mille-pattes étaient des insectes, qui eux en ont six.
Les 12 (et non 7) familles étaient tout aussi farfelues que cette typologie binaire. On y trouvait la famille des Insectes extraordinaires où la Mante religieuse était « sœur » du Bombyx, celle des Insectes nuisibles où le Hanneton était « frère » de la Courtilière, celle des Chanteurs et sauteurs, etc., et pas moins de quatre familles rien que pour les papillons.
Sans le savoir, j’expérimentais que, grâce à quelques exemples pris dans des regroupements aussi arbitraires que les classifications puissent l’être, ce jeu représentait un tout, un tout merveilleux, d’autant plus merveilleux qu’il est, ou plutôt qu’il était infini, innombrable.

Fabienne Raphoz, Infini présent, l’insecte, éditions Héros-Limite, 2024, 18€