Guillaume Decourt, “Lundi propre” et “Le Bonjour de Christopher Graham”, extraits


En complément de la note de Jacques Morin, Poesibao propose de substantiels extraits des deux derniers livres de Guillaume Decourt.



Guillaume Decourt, Lundi propre, La Table Ronde, 2023, 88 pages, 14 €.

Guillaume Decourt, Le Bonjour de Christopher Graham, Æthalidès, 2023, 74p., 16€




5. BOUBOU

J’ai l’envie subite de revêtir
Mon boubou et de danser gauchement
Sur un concerto de Rachmaninov
Toi seule es en mesure de saisir
En quoi ce syncrétique mouvement
Peut conjurer toutes les catastrophes
Laisse-moi donc revêtir mon boubou
Danser gauchement sur un concerto
De Rachmaninov nous sommes debout
Le jour se lève il est encore tôt.

15. TOURMENTS

Il ne faut pas parler de ses tourments
Il faut les endormir à l’intérieur
De soi comme on recouvre avec un drap
La cage du canari au moment
Même il s’arrête de chanter c’est l’heure
De la nuit en plein soleil on voudra
Ce qu’on veut mais qu’on découvre la cage
Il chantera de plus belle vraiment
Il ne faut pas parler de ses tourments
Il ne faut pas se servir du langage

25        CŒUR

Au matin après le premier café
Quarante-cinq battements par minute
Temps sensible ventricules artères
En mon propre nom soyez remerciés
Plusieurs fois dans le cyclone la lutte
Fut longue nous étions à la lisière
De nous-mêmes je ne pouvais compter
Que sur vous et rien donner en retour
Merci à vous merci pour tous les jours
A venir et pour tous les jours passés.

Guillaume Decourt, Lundi propre, La Table Ronde, 2023, 88 pages, 14 €.

Sur le site de l’éditeur :
« La tour Eiffel scintille chaque nuit / je porte mes bottes de Tasmanie », écrit Guillaume Decourt dans ce détonnant recueil irrigué d’images ramenées du monde entier, telles des légendes. Après une enfance passée entre Israël, l’Allemagne, la Belgique et le Massif central, le poète a vécu à Mayotte, en Grèce, et même en Nouvelle-Calédonie. De ses voyages et de bien d’autres horizons réels ou inventés, il puise un matériau singulier, à la puissante force évocatoire, distillé dans les instantanés que sont ces soixante-dix dizains à la précision millimétrée.
Percutant et concret, chaque poème peut se lire comme une énigme et une micro-scène en forme de patchwork. La voix du poète pose sa douce et drôle mélancolie dans un kaléidoscope de paysages vivants et immémoriaux, peuplés de personnages charismatiques et d’oiseaux exotiques. Cheminant dans la sophistication décalée de cette géographie intérieure, on croise le fantôme d’une femme aimée, l’enfant qu’ils n’ont pas eu, des rêves d’héroïsme et de bravoure masculine dépassée par l’épreuve des années, un rien blasée. « Quelqu’un me manque, je ne sais pas qui » – « ce soir je suis presque heureux de ma vie », constate celui dont la rime et la rythmique penchent souvent du côté de l’espièglerie et de l’autodérision. Tant que subsistent quelque part « un ciel très bleu et des citrons très jaunes », l’écriture est avant tout, avec Guillaume Decourt, un art de la gaité

***

BALLADE DE CHINATOWN

San Francisco septembre frais
Le Golden Gate me met en joie
Chinatown est plein de Chinois
Qui ne parlent que cantonais
La Chine n’est pas forte en langues
Sans doute peut-on l’affirmer
Lorsque je vais dans le quartier
Je m’arrête chez Jin Sui Fang

L’échoppe sur Grant Avenue
Est flanquée de Linda Boutique
À midi j’attends la venue
De la vendeuse sympathique
Elle se prénomme Guomei
Et s’est tatoué le Yin et Yang
En haut du cou sous une oreille.
Je m’arrête chez Jin Sui Fang

Nous mangeons un bol de tofu
Et nous parlons de poésie
Je crois bien que je ne saisis
Pas tout ce qu’elle dit Du Fu
Et le moine Hanshan l’émerveillent
Elle commence une harangue
Sur le grand poète Wang Wei
Je m’arrête chez Jin Sui Fang

Princesse de San Francisco
Qui chantez la dynastie Tang
Que nous apaise le Tao
Je m’arrête chez Jin Sui Fang.
(p. 15)

Guillaume Decourt, Le Bonjour de Christopher Graham, Æthalidès, 2023, 74p., 16€


Sur le site des éditions Æthalidès
Après le triomphe de son A 80 KM de Monterey, le poète voyageur prolonge ses tribulations en Amérique du nord et par sa voix nous lie à leur insolite point de fuite, au travers de ballades, terza rima, triolets, pantoum, contrerimes, rondeaux, sonnets, augmentés de dizains de formes entièrement
inédites. 37 poèmes de formes fixes, « traditionnelles », en voie de disparition, pour évoquer paradoxalement les USA dans toute leur contemporanéité.
À la confluence de Louis Aragon, de Raymond Carver et des Rhapsodies de Liszt