Giuseppe Conte, traductions inédites de Christian Travaux


A l’occasion de la venue à Paris de Giuseppe Conte, Christian Travaux a offert à Poesibao ces nouvelles traductions inédites.



CHANTS D’ORIENT ET D’OCCIDENT (extraits)


Traduit de l’italien par Christian Travaux


L’Italie est l’invité d’honneur du Salon du livre 2023. Pour représenter la poésie, le poète italien Giuseppe Conte sera présent, le vendredi 21 avril à 12 h 00. Il lira de larges extraits de Ferite e Riforiture (2006), traduit en français en 2022, sous le titre Je t’écris de Bordeaux et édité chez Arfuyen, des extraits aussi de Non finirò di scrivere sul mare, paru chez Mondadori, Milano, en 2019, et dont Poezibao avait rendu compte, en publiant de larges extraits, en 2020. Mais il lira aussi des poèmes d’un recueil plus ancien, Canti d’Oriente e d’Occidente, (Mondadori, 1997). À cette occasion, Poesibao publie quelques extraits de ce recueil, traduits par Christian Travaux. Dans ce livre, Giuseppe Conte s’inspire des grands poètes arabes ou persans, notamment Hâfiz, et fait, à sa manière, un Divan ou Diwan oriental et occidental, mêlant les influences et renouvelant le genre.


CHANTS DE YUSUF ABDEL NUR

II.

Nous sortons du néant
au néant retournons
mais ta porte passons,
Allah.

Elle est ainsi ta porte
comme la Bâb Boujloud
est bleue sur une face
est bleue immatérielle

car aux ombres des anges
elle semble égale
et l’autre face
verte, est fleurie

verte de l’herbe
et du printemps
vert fugitif
de cette vie

couleur aimée de
Mohamed.

V.

Mon cœur ne cherche à suivre
Amour, que ton chemin.
Il veut seul le tourment
qui lui viendra de Toi.

Et comme un chameau qui
défie la longue soif
d’une traversée entre
les étoiles, les pierres.

Amour, fais un désert
au-dedans moi, et blesse
mon cœur fidèle de
vent et de sécheresse

ainsi rien ne pourra
y mettre feuille ou fleur –
sinon Toi.

VII.

Nous les humains nous dormons
et les étoiles cheminent

nous les humains nous rêvons
et les étoiles s’inclinent

nous les humains, nous nous aimons
et les étoiles s’empoussièrent

dans la chérubique lumière
de la Vérité

myriades là-bas aux pieds
de ce Trône où Tu T’assieds

Allah.

XIII.

J’ai cherché les plaisirs
et cherché la Lumière.
Le tapis des saisons
et le jardin des rossignols
le corps de mon Aimée, l’envol
des paroles dictées
par le scribe
le vert des fontaines
et des palmiers
la chaude harira
et les dattes.

J’ai servi les plaisirs
et servi la Lumière,
les feuilles et les fleurs
les vagues, les printemps
le feu, et les comètes
le juste, ce qui renaît
la lutte qui conduit
au zénith la vie
qui s’éloigne outre-ciel
là où est le Réel

et ainsi je t’ai adoré,
Allah.

XIV.

Je suis assis sur un tapis
de feuilles, de fleurs du printemps,

mon silence est une prière
j’ai avec moi le vin, la coupe.

Si mon Aimée était tout près
et sa bouche brillante là.

Le parfum doux de ses baisers
est bien plus doux que le jasmin.

On dit que je suis sage car
je connais tous les mots de Dieu

je sais qu’on ne voit pas sa face
mais qu’il concède à toutes les

roseraies sa pourpre et son feu.
Je suis sage : je bois, je joue,

chante quand le temps nous enlève.
Que de fleurs s’ouvriront matin

et combien tomberont demain
ou sous le grain des ouragans

se flétriront. Le temps rend frères
nous qui allons sous même ciel.

N’est-elle pas même pour tous
la lune qui semble grenade

tombée lentement de sa branche ?
Mais je suis sage puisque j’aime.

XXVIII.

Dieu n’habite pas dedans la mosquée
ni à Sultanahmet et ni à Qom

ne lave pas ses pieds à la fontaine
et ne se blottit pas sur le tapis

ne dirige pas ses yeux vers la Mecque
n’élève pas des chants du minaret.

Dieu n’a ni corps ni maison, je le sais.
Car Lui seulement n’en a pas besoin.

Mais nous qui le prions sommes d’ici,
où de Lui seul passe un souffle, et un songe.

XXXII.

Si tu veux être heureux
n’attends pas de l’Amour
que le plaisir soit seul
ton guide chaque soir.

Si tu veux être heureux
sois le martyr d’Amour
et demande en partage
la douleur et la mort.

Qui ne sait par Amour
finalement mourir
jamais il n’obtiendra
de Lui Vie, Vérité.

Qui ne sait par Amour
s’amender et souffrir
jamais n’en aura miel
ne sera son Fidèle.

Si tu veux être heureux
sois le martyr d’Amour
sinon laisse tomber
oublie ce qui n’est pour toi.


II.

Usciamo dal nulla
nel nulla rientriamo
ma la porta passiamo,
Allah.

È la tua porta
come Bab Boujellud
blu su una faccia
blu immateriale

che ad ombre d’angeli
sembra eguale
e l’altra faccia
verde è, fiorita

verde di erba
di primavera
verde fuggevole
di questa vita

colore amato da
Mohammed.

V.

Il mio cuore non segue
che il tuo sentiero, Amore.
Vuole solo il tormento
che gli verrà da Te.

Come un cammello che
sfida la lunga sete
di una traversata
tra le stelle e le pietre.

Tu, Amore, fa il deserto
dentro di me, colpisci
il mio fedele cuore
di vento e di siccità

così più niente potrà
mettervi foglia né fiore
se non Tu.

VII.

Noi umani dormiamo
e le stelle camminano

noi umani sognamo
e le stelle si inchinano

noi umani, noi amiamo
e le stelle si impolverano

nella luce cherubica
della Verità

miriadi giù ai piedi
del Trono dove Tu siedi

Allah.

XIII.

Ho cercato i piaceri
e ho cercato la Luce.
Il tappeto delle stagioni
il giardino degli usignoli
il corpo dell’Amata, i voli
della parola dettata
dallo scriba
il verde delle fontane
e dei palmeti
la calda harira
e i datteri.

Ho servito i piaceri
e ho servito la Luce,
le foglie, le fiorite
le onde, le primavere
il fuoco, le comete
il giusto, ciò che rinasce
la lotta che conduce
allo zenith la vita
che sconfina oltrecielo
dove è la Realtà

e cosi ti ho adorato,
Allah.

XIV.

Sono qui seduto su un tappeto
di foglie e fiori di primavera,

e il mio silenzio è una preghiera
ed ho con me la coppa e il vino.

Se la mia Amata fosse vicino
se la sua bocca lucente fosse qui.

Il profumo dei suoi baci
è più dolce del gelsomino.

Dicono che sono saggio perché
conosco tutte le parole di Dio

e so che il suo volto non si vede
ma a tutti i roseti concede

la sua porpora e il suo fuoco.
Ma io sono saggio perché bevo, gioco,

canto mentre il tempo ci rapina.
Quante rose si apriranno stamattina

e quante ne cadranno domani
o sotto le raffiche degli uragani

avvizziranno. Il tempo ci affratella
noi che ci muoviamo sotto lo stesso cielo.

Non è la stessa per noi tutti quella
luna che sembra una melagrana

staccata lentamente dal suo ramo ?
Ma io sono saggio perché amo.
 
XXVIII.

Dio non abita nella moschea
né qui a Sultanahmet né a Qom

non lava i piedi alla fontana
non si accovaccia sul tappeto

non punta gli occhi verso la Mecca
non alza cantici dal minareto.

Dio non ha corpo né casa, lo so.
Lui solo non ne ha bisogno.

Siamo noi che lo preghiamo da qui,
dove di Lui passa un soffio, un sogno.

XXXII.

Se vuoi essere felice
non chiedere all’Amore
che sia solo il piacere
a guidarti le sere.

Se vuoi essere felice
sii martire d’Amore
e domandagli in sorte
il dolore e la morte.

Chi non sa per Amore
finalmente morire
da Lui non otterrà
mai Vita e Verità.

Chi non sa per Amore
cambiare sé e soffrire
non toccherà mai il miele
non lo sarà un Fedele.

Se vuoi essere felice
sii martire d’Amore
se non lascialo stare
non fa per te, dimentica.

Source : Giuseppe Conte : Canti d’Oriente e d’Occidente, Mondadori, coll. « Il Nuovo Specchio », 1997, traduit de l’italien par Christian Travaux.

Traductions inédites de Christian Travaux