Avec délicatesse, Isabelle Baladine Howald fait entrer dans ce livre de François Heusbourg, à la recherche d’une position pour dormir.
François Heusbourg qui est le poète, le traducteur que l’on sait et le merveilleux Phénix des éditions Unes, cherche dans ce nouveau livre Une position pour dormir.
Je me disais, refermant ce livre qui remuait toute la mélancolie du monde en moi, qu’il faudrait faire une anthologie du sommeil dans la poésie. De vieux vers incomplets revenaient, par exemple « … où je m’endors », des bouts de chansons, quelques mots et surtout des points de suspension, et ma propre histoire avec le sommeil – rien que je puisse raccorder à quoi que ce soit, en réalité.
S’endormir nécessite plusieurs changements de position le plus souvent, il est rare que l’on s’endorme comme ça, comme les enfants à peine posés. La réparation espérée et parfois offerte par le sommeil nécessite telle ou telle position pour pouvoir avoir lieu. Mon corps comme ma psyché savent exactement ce qu’il me faut autour de moi, contre moi, pour pouvoir dormir. Une position dans l’enfance ?
L’enfance, ici, est centrale. Livre d’amour et de solitude, Une position pour dormir s’adresse souvent à une femme, est-ce la mère, est-ce la compagne, j’ai souvent hésité mais pourquoi toujours vouloir comprendre, vouloir savoir. Et d’ailleurs il n’est pas dit que l’adresse vienne du poète, c’est peut-être cette mère, cette compagne, qui par ses regards, ses silences, ses gestes, ou la lente adéquation entre deux personnes au cours d’une vie, s’adresse à celui qui écrit et lui demande juste un échange ou de prendre des notes pour plus tard. La douleur ne pèse pas, pourtant elle est constamment là. Pas de plainte, des tout petits constats, le corps, le temps, les gestes, entre tentative et disparition :
« Suis-je plus présent ici lorsque j’écris mon nom
ou quand je l’efface ».
Le temps n’est que désordre :
« c’est si difficile comme on respire
de faire les choses
dans l’ordre des choses ».
Le temps n’est en rien linéaire, on est en train de regarder des enfants et d’un seul coup on est reporté en une seconde lumière à nos propres jeux d’enfants, « à quand remonte l’enfance ? ». Ou bien la peau si douce d’un bras âgé nous rappelle que, nous aussi, avons ou aurons cette peau si douce sur un bras âgé. Ou :
« J’accepte mon visage
et les pertes de mon visage ».
Il n’y a rien à faire à ça :
« et je ne sais toujours pas très bien ce que je fais là
si je suis l’un ou l’autre
des autres ».
J’ai compris une chose, en voyant vaguement émerger une silhouette dans la manière d’écrire, quelque chose qui me rappelait une délicatesse infinie, une façon si légère d’effleurer le dessus des choses, une manière de poser sans peser, d’ouvrir une porte en restant sur le seuil. François Heusbourg est l’éditeur d’Éric Sautou, et ça n’a vraiment rien d’un hasard, c’est la même douceur infinie, la même mélancolie. Et un peu plus tard, j’ai pensé à Pessoa, et là encore il n’y a pas de hasard :
« – je ne suis pas
vraiment là. »
Isabelle Baladine Howald
François Heusbourg, Une position pour dormir, Gallimard, 2024, 100 p.