Nos cauchemars sont calmes comme des oiseaux endormis, titre de Francis Coffinet paru chez Alidades, lu par Isabelle Baladine Howald.
Le fil entre ciel et terre, entre nous, entre…
Comme bordé d’une dédicace de Benoît Gréan en guise de préface, le livre Nos cauchemars sont comme des oiseaux endormis, de Francis Coffinet chez Alidades, touche par ce mouvement infime constant entre ce que l’on peut appeler au moins un vertige, « Le vide a placé tous ses pions en moi » (p. 7) et la position inverse, paradoxale mais tenue, rester debout : « je n’en fais bouger aucun » (p. 7).
Sans prise sur grand-chose « j’attends que varie la courbure de la terre » (p. 7), le corps comme une « camisole » (p. 9), « les veines de nos jambes plus chargées de grammaire/que de sang » (p. 10). Un homme est sur la terre, sans savoir pourquoi, il vit près des prés, la présence de quelqu’un parfois, entre ciel et terre, attentif seulement à ce qui est un écart autant qu’une jointure, sans jamais oublier le mouvement lent et profond de la mer.
Quelqu’un dort, quelqu’un d’autre veille, posés dans cette cosmogonie. C’est aussi simple que ça.
Je retrouve le même monde en voyant ses œuvres plastiques, où se lit la même ligne de faille brune et or. Il se tient sur les bords, « je romps les plus petits os pour accomplir les écritures » (p28), « je dors allongé sur un fil », présent, toujours sur le point de se briser mais ne se brisant pas. Peut-être un effacement, comme sur les tableaux, peu à peu se fait. Personne ne disparaît mais il faut travailler la mémoire des morts. Et si personne ne disparaît, la disparition fait tout de même son œuvre, elle-même. La légèreté profonde de ce livre nous laisse comme sur le sable, à regarder le scintillement de l’eau, il y a mille ans, dans mille ans, ou maintenant. Et Dieu dans tout ça ? Il travaille le Verbe.
La postface sensible d’Emmanuel Godo souligne la douceur de cette écriture et saisit la dimension pascalienne du livre, en si peu de pages, avec si peu de moyens , toute sa force est là.
Isabelle Baladine Howald
Francis Coffinet, Nos cauchemars sont comme des oiseaux endormis, postface d’Emmanuel Godo, Alidades, coll création, 2024, 36 p, 6 €
Paraissent en même temps chez Alidades de Gerhard Falkner A Gründingen, trad de Jörn Vincent, bilingue, 53 p, 6,50 € (voir le dossier que Jean-René Lassalle consacre à Gerhard Falkner dans ce numéro I de Poesibao III
Et de Mikhaïl Lermontov, Le novice, trad Guy Imart, coll petite bibliothèque russe, 57 p, 7€,
Toujours bravo à Alidades pour les formats soignés et les prix serrés !
Extraits
J’entends en toi l’effondrement régulier des falaises crayeuses.
La ronde enfantine des os et des comptines, le cortège qui pénètre sous terre comme une farandole.
… tu cours dans les prés comme un enfant… ton cœur pèse 128 grammes.
Les ombelles tournent autour de toi.
Avec lenteur et application tu réécris la cosmogonie. (p. 13)
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Je porte le cadastre des hommes
marqué sur mon bras d’un trait d’ongle
Je dors allongé sur un fil.
Le regard perdu dans la Genèse.
Les histoires sacrées injectées sous ma peau. (p. 26)